Homélie du Père Emmanuel Schwab

4ème dimanche de Pâques – Année B

1ère lecture : Actes 4,8-12

Psaume : 117 (118), 1.8-9, 21-23, 26.28-29

2ème lecture : 1 Jean 3,1-2

Évangile : Jean 10,11-18

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Trois points peuvent retenir notre attention à partir des lectures de ce jour.

Le premier est toujours le même : « Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ». C’est le cœur de notre conversion. C’est le cœur de notre attachement à Jésus : découvrir que toute notre vie, que toute ma vie est concernée par cet acte unique de l’histoire de cet homme, Jésus, vrai Dieu et vrai homme, qui a livré sa vie pour moi. Et en découvrant que c’est pour moi, je découvre que c’est pour tous.

Le pape François dans son exhortation « C’est la confiance » sur sainte Thérèse de l’Enfant Jésus note ceci tout particulièrement (n°33) :

Thérèse a la vive certitude que Jésus l’a aimée et l’a connue personnellement dans sa Passion : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2, 20). Contemplant Jésus dans son agonie, elle lui dit : « Tu me vis ». [PN 24] De même, elle dit à l’Enfant Jésus dans les bras de sa Mère : « De ta petite main qui caressait Marie, Tu soutenais le monde et lui donnais la vie. Et tu pensais à moi » (id.). Ainsi, toujours au début de l’Histoire d’une âme, elle contemple l’amour de Jésus pour chacun, comme s’il était unique au monde [Ms A, 3rº].

Thérèse nous enseigne à croire vraiment que ce que dit Jésus dans l’Évangile est vrai : Je connais mes brebis. Et je vous invite chacun à oser croire et à faire ce travail là aujourd’hui et durant la semaine : croire Jésus quand il nous dit : « Je connais mes brebis » ; je te connais personnellement.

Ce qui est intéressant dans la poésie 24 que cite le Pape — cette poésie qui s’appelle « Rappelle-toi » — c’est que Thérèse l’écrit à la demande de sa sœur Céline. Céline, qui est entrée en religion au Carmel elle aussi, trouve qu’elle a déjà fait beaucoup pour Jésus. Et elle voudrait que Thérèse écrive une poésie où elle puisse dire à Jésus : Rappelle-toi, Jésus, tout ce que Céline a fait pour toi. Et Thérèse, avec quelque affectueuse malice, va rédiger toute sa poésie en disant : Rappelle-toi Jésus, tout ce que tu as fait pour moi. Céline est surprise de recevoir cela…

Mais ce qui est intéressant à noter, c’est que, lorsque Thérèse écrit :

De ta petite main qui caressait Marie,

Tu soutenais le monde et lui donnais la vie.

Et tu pensais à moi !

elle a écrit cette poésie pour Céline. C’est donc que Céline peux dire cela elle aussi. C’est pour que chacun de nous puisse dire cela, pour que chacun de nous puisse dire « en sa Passion, Jésus m’a vu ». Lorsqu’il a livré sa vie sur la croix, il a vu chacun de nous et il l’a fait pour chacun de nous personnellement. Ce mystère est grand et il nous faut y revenir souvent.

Le deuxième point que je voudrais souligner, c’est la conséquence de ce que Jésus a fait : par le baptême, nous sommes mis avec Jésus pour devenir à notre tour enfant de Dieu et partager cette condition avec le Fils unique. Enfant de Dieu et frère de Jésus. Ce que nous sommes, dit saint Jean, n’apparaît pas encore aujourd’hui, mais ça n’est pas parce que nous ne le voyons pas avec nos yeux de chair que cela n’est pas réel. Nous sommes enfants de Dieu, et là encore, Thérèse est notre maîtresse pour nous apprendre à contempler vraiment la paternité de Dieu. Sans doute a-t-elle appris ce qu’est une paternité exigeante et bienveillante auprès de de son saint père, Louis Martin ; sans doute a-t-elle découvert la dimension maternelle de la paternité de Dieu à travers sa sainte mère Zélie…

Mais la paternité et la maternité de ses parents ont évoqué quelque chose de bien plus grand : la paternité de Dieu. Et elle a une confiance totale en Dieu le Père. Croyons-nous vraiment que nous sommes enfants de Dieu et nous comportons-nous envers Dieu comme des enfants bien-aimés ?

Et ce que Thérèse nous apprend aussi, c’est que lorsqu’un enfant a fait une bêtise, plus vite il vient reconnaître sa bêtise devant son père ou sa mère, plus vite il est pardonné. Et quand Thérèse avait fait une bêtise quand elle était petite, lorsque son papa rentrait, la première chose à faire était d’aller raconter à Louis la bêtise qu’elle avait faite pour qu’elle puisse recevoir la bienveillance paternelle de son papa. Avons-nous la même attitude d’enfant de Dieu avec Dieu, notre Père ?

Enfin, le troisième point, c’est la volonté de Jésus d’aller chercher les brebis qui ne sont pas encore là. Le troupeau est petit. Dans notre pays, en Europe, le troupeau du Seigneur s’est bien rétréci ces dernières décennies, frères et sœurs. Considérons-nous cela comme une marche normale de l’histoire ? Sommes-nous de gentils défaitistes ou entrons-nous dans ce désir et cette volonté de Jésus d’aller chercher les brebis qui ne sont pas encore dans l’enclos ?

« J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur ». Thérèse est fascinée par cela, et finalement, elle offre toute sa vie pour travailler avec Jésus pour lui “gagner des âmes”, comme elle aime dire. Elle veut travailler à “sauver les pécheurs” avec Jésus. Elle sait que Jésus a tout fait, mais en même temps qu’il nous aime tellement qu’il ne veut rien faire sans nous (CF. LT 135),

et qu’il se contente du peu que nous pouvons donner. Thérèse, contemple ces âmes si nombreuses… Dans une des récréations qu’elle écrit sur Les anges à la crèche de Jésus, elle fait parler ainsi un des anges :

Jésus, je vois aussi des âmes plus nombreuses encore qui s’éloigneront de toi ; comme l’enfant prodigue elles iront chercher le bonheur bien loin de leur Père !… Au lieu de rester en paix sous ta houlette, ô Divin Pasteur, ces pauvres brebis s’égareront dans les épines… Mais l’épreuve les rapprochera de toi, elles se souviendront que le Fils de Dieu n’est pas venu appeler les justes mais les pécheurs, et que la joie est plus grande au Ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence… Comme Madeleine, après t’avoir beaucoup offensé elles t’aimeront beaucoup… Lorsque ces âmes rechercheront ton visage, dès qu’elles viendront se cacher dans le secret de ta Face divine en invoquant ton nom béni, daigne, ô Jésus ! par un seul de tes regards les rendre plus brillantes que les étoiles des Cieux !… (RP 2,7)

C’est le souci constant de Thérèse. Jésus est venu pour sauver les pécheurs. Comment est-ce que cette volonté de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, cette volonté de Jésus de donner sa vie pour le salut de tous, comment est-ce que cette volonté n’habiterait pas aussi notre cœur et comment est-ce que cela ne mobiliserait pas aussi nos vies ?

Thérèse, en entrant au Carmel, veut donner sa vie dans ce but. Et ce qu’elle comprend, c’est que nous pouvons coopérer très réellement à l’œuvre de Jésus. Elle écrit à sa sœur Léonie (LT 191) :

Ah ! s’il fallait faire de grandes choses, combien serions-nous à plaindre ?… Mais que nous sommes heureuses puisque Jésus se laisse enchaîner par les plus petites…

Ce ne sont pas les petits sacrifices qui te manquent, ma chère Léonie, ta vie n’en est-elle pas composée ?.. Je me réjouis de te voir en face d’un pareil trésor et surtout en pensant que tu sais en profiter, non seulement pour toi, mais encore pour les âmes…

Et elle ajoute :

Il est si doux d’aider Jésus, par nos légers sacrifices, de lui aider à sauver les âmes qu’il a rachetées au prix de son sang et qui n’attendent que notre secours pour ne pas tomber dans l’abîme…

Oui, frères et sœurs, en fêtant le Christ Bon Pasteur aujourd’hui, en contemplant son œuvre, laissons grandir en nous ce désir de coopérer à son action pour que beaucoup connaissent Jésus, apprennent à l’aimer, accueillent la miséricorde de Dieu et voient leur vie transformée par la lumière de Dieu. Et si tous les baptisés grandissent dans ce désir d’être avec Jésus et de coopérer à son œuvre, ne doutons pas que parmi ces baptisés, des jeunes hommes se lèveront pour donner à l’Église ce dont elle a besoin pour que l’Église tout entière témoigne au milieu de notre monde si douloureux, de la miséricorde inépuisable de Dieu.

Amen