Homélie du Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire

Jeudi Saint – Année B

1ère lecture : Exode 12,1-8.11-14

Psaume : 115 (116b),12-13, 15-16ac,17-18

2ème lecture : 1 Corinthiens 11,23-26

Évangile : Jean 13,1-15

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Humilité. Réciprocité. Reconnaissance.

L’humilité d’abord. C’est quelque chose qui touche beaucoup sainte Thérèse : cette humilité de Dieu qui se fait si petit. Dans sa prière pour obtenir l’humilité, qu’elle écrit tardivement en juillet 1897, Thérèse prie ainsi :

O Puissant Monarque des Cieux, oui mon âme trouve le repos en vous voyant revêtu de la forme et de la nature d’esclave, vous abaisser jusqu’à laver les pieds à vos apôtres. Je me souviens alors de ces paroles que vous avez prononcées pour m’apprendre à pratiquer l’humilité : « Je vous ai donné l’exemple afin que vous fassiez vous-même ce que j’ai fait, le disciple n’est pas plus grand que le Maître…. Si vous comprenez ceci vous serez heureux en le pratiquant. » Je les comprends, Seigneur, ces paroles sorties de votre Cœur doux et humble, je veux les pratiquer avec le secours de votre grâce.

Elle poursuit en disant :

Je veux m’abaisser humblement et soumettre ma volonté à celle de mes sœurs, ne les contredisant en rien sans rechercher si elles ont, oui ou non, le droit de me commander.

La plupart d’entre nous ne sommes pas dans une communauté religieuse, mais peut-être que nous vivons encore dans une famille où il y a plusieurs membres, peut-être aussi que nous avons des amis, que nous avons des activités avec d’autres dans la municipalité, dans la paroisse, dans une association, que sais-je ? Comment sommes-nous capables de faire ce que l’autre nous indique dans des choses extrêmement simples ? Je me souviens : avec mon supérieur au séminaire, il m’est arrivé une fois, en le voyant faire je ne sais plus quoi, de lui dire : Tiens, pourquoi vous faites cela de cette manière ? Il me répond : Et toi, comment ferais-tu ? Je lui dis comment ,moi ,je l’aurais fait… Il a aussitôt adopté ma manière de faire. Eh bien, en faisant cela, il a été pour moi un enseignant. Il m’a appris ce qu’était l’humilité : cette capacité à ne pas vouloir avoir raison, cette capacité à entendre ce que l’autre peut demander, peut suggérer.

Ce que nous célébrons dans le grand mystère de l’Eucharistie, cela doit avoir des répercussions dans les choses les plus concrètes de notre existence. Jésus n’est pas venu pour des choses exceptionnelles de notre vie : il est venu pour transformer l’ordinaire de nos existences, pour transformer chaque minute de notre temps, pour qu’à chaque instant, nous puissions davantage nous aimer les uns les autres. Et nous ne pouvons pas nous aimer les uns les autres si nous voulons toujours avoir raison, si nous voulons toujours savoir comment il faut tout faire, si nous ne nous laissons pas enseigner, si nous n’acceptons pas d’entendre autre chose que ce que nous pensons.

Cette humilité que Thérèse contemple dans le lavement des pieds, cette humilité qu’elle demande pour elle-même, dans cette même prière, un peu plus loin, elle voit qu’elle se manifeste aussi dans le mystère de l’Eucharistie.

Ô mon bien-aimé, dit-elle, sous le voile de la blanche Hostie, que vous m’apparaissez doux et humble de cœur.

Il y avait une vieille sœur Clarisse à Nazareth, que beaucoup de groupes allaient rencontrer et qui répétait inlassablement : « Jésus s’est fait petit morceau de pain. » Et elle était en admiration devant cette humilité de Jésus. Lorsque nous approchons du sacrement de l’Eucharistie, comment contemplons-nous cette humilité de Dieu ? Le Verbe s’est fait chair, et le Verbe fait chair s’est fait petit morceau de pain pour nous nourrir de sa vie.

Humilité.

Réciprocité :

À deux reprises, au moins, Thérèse évoque cette réciprocité par rapport au mystère de l’Eucharistie à propos de sa première communion.

Elle résume ainsi l’expérience spirituelle qu’elle a faite lors de sa première communion à l’âge de 11 ans, lorsqu’elle en parle plusieurs années plus tard :

Ah ! qu’il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme !… Ce fut un baiser d’amour, je me sentais aimée, et je disais aussi : ” Je vous aime, je me donne à vous pour toujours.” » Ms A, 35r°

Elle comprend que Jésus se donne à elle, et quand elle comprend que Jésus se donne à elle, elle comprend que Jésus veut se donner à toute personne.

Mais qu’est-ce que cela déclenche en elle ? Non pas une possession égoïste de Jésus, mais une volonté réciproque de se donner à Jésus.

Elle a la même lecture de ce don réciproque à propos de sa sœur Pauline qui fait profession le même jour au Carmel. Et elle dit à propos de Pauline :

Ah ! c’était bien vers elle qu’allaient mes pensées, je savais que ma Pauline était en retraite comme moi, non pour que Jésus se donne à elle, mais pour se donner elle-même à Jésus. Ms A, 34 Dans la liturgie de l’Eucharistie, avant la grande prière eucharistique, nous apportons le pain et le vin à l’autel. C’est ce que nous appelons l’offertoire. En quoi consiste le geste de l’offertoire ? Il consiste à poser sur l’autel le pain et le vin. Mais que représente l’autel ? Vous avez vu qu’il est orné de la lumière. Vous avez vu que les prêtres ont embrassé l’autel. Vous avez vu que nous l’avons encensé… parce que l’autel a été consacré et que cet autel est un des signes de la présence de Jésus. Poser sur l’autel le pain et le vin qui, symboliquement, représentent toute notre humanité, c’est nous donner à Jésus. Dans ce geste de l’offertoire, l’attitude spirituelle qu’il nous faut apprendre à vivre c’est vraiment de nous offrir à Jésus, pour que Jésus nous offre avec lui au Père. Comme une sorte de don en deux temps : nous nous donnons à Jésus pour qu’il nous emporte dans son offrande et qu’il nous donne par Lui, avec Lui et en Lui, au Père.

Avons-nous ce goût de nous donner à Jésus ? Lui exprimons-nous dans notre prière : « Seigneur Jésus, je me donne à toi » ? Cherchons-nous à vivre ce don de nous-mêmes à Jésus, à travers notre obéissance à sa parole, à travers ce que nous essayons de vivre dans l’imitation de Jésus ? Nous donner à Jésus pour que lui nous donne au Père, nous donner à Jésus pour qu’il nous rende capables d’aimer comme il nous a aimés…

Humilité.

Réciprocité.

Et enfin reconnaissance :

Un des moteurs les plus profonds de ce que je comprends de la vie de Thérèse, c’est la reconnaissance envers Dieu, envers Jésus. La gratitude. Elle a compris que Jésus a tout réalisé. Elle a compris que le salut est un don gratuit. Elle a compris que la miséricorde jaillit du cœur du Seigneur, et qu’il n’attend qu’une chose, c’est que nous accueillions cette miséricorde. Et cela éblouit le cœur de Thérèse ; ainsi sa vie devient une réponse de gratitude. Elle exprime cela dans bien des endroits, mais notamment dans le manuscrit B :

O Verbe Divin, c’est toi l’Aigle adoré que j’aime et qui m’attires ! c’est toi qui t’élançant vers la terre d’exil as voulu souffrir et mourir afin d’attirer les âmes jusqu’au sein de l’Éternel Foyer de la Trinité Bienheureuse, c’est toi qui remontant vers l’inaccessible Lumière qui sera désormais ton séjour, c’est toi qui restes encore dans la vallée des larmes, caché sous l’apparence d’une blanche hostie…

Donc Thérèse contemple le Seigneur dans sa résurrection et dans son Ascension — le Seigneur qui siège à la droite du Père — et en même temps, elle dit : mais c’est toi aussi qui demeures au milieu de nous dans le mystère de l’Eucharistie. Elle poursuit :

Aigle Éternel, tu veux me nourrir de ta divine substance, moi, pauvre petit être, qui rentrerais dans le néant si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant… O Jésus ! laisse-moi dans l’excès de ma reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour va jusqu’à la folie… Comment veux-tu devant cette Folie, que mon cœur ne s’élance pas vers toi ? Comment ma confiance aurait-elle des bornes ?… Ms B 05 Cette gratitude présente dans le cœur de Thérèse lui donne de vouloir s’élancer vers Jésus. Mais comment s’élance-t-elle vers Jésus ? Ce n’est pas seulement

dans la prière et dans la méditation des Saintes Écritures, c’est aussi et beaucoup dans la charité fraternelle concrètement vécue.

Et finalement, ces trois termes que je notais au début même de mon homélie : l’humilité, la réciprocité, la reconnaissance, sont trois ingrédients qui nous conduisent à vraiment vivre la charité.

Après cette messe, lorsque nous porterons le Saint-Sacrement au reposoir où nous pourrons adorer jusqu’à minuit — la basilique restera ouverte jusqu’à cette heure-là — je vous invite à garder ces trois dimensions à l’esprit : l’humilité du Christ, la réciprocité de notre amour, et notre reconnaissance qui nous donne de nous élancer dans la charité.

C’est cela que nous sommes appelés à vivre en ce mystère Pascal dans lequel nous entrons, parce que nous avons été créés par l’amour de Dieu, que nous sommes créés pour l’amour et qu’il n’y a d’autre sens à notre vie que d’aimer sans mesure.

Amen