Homélie du Père Emmanuel Schwab

5ème dimanche Pendant l’Année – Année B

1ère lecture : Job 7,1-4.6-7

Psaume : 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7

2ème lecture : 1 Corinthiens 9,16-19.22-23

Évangile : Marc 1,29-39

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La bible contient deux Livres où s’expriment plus qu’ailleurs la souffrance de l’homme, voire la désespérance de l’homme : ce sont le livre de l’Ecclésiaste et le livre de Job dont nous avons entendu un extrait il y a un instant. « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée… Je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance… Mes yeux ne verront plus le bonheur ». Nombreuses sont les personnes qui peuvent éprouver cette désespérance. Peut-être parmi nous certains sont-ils dans cet état d’esprit en ce moment ? Les épreuves de la vie — et Job en connaît un nombre ! — sont parfois trop lourdes à porter et il nous semble que la vie ne vaut pas le coup d’être vécue.

Notre monde qui a perdu de vue le mystère du Créateur, de celui qui donne la vie, notre monde contemporain pense que, quand la souffrance est trop grande, il vaut mieux tuer la personne, que c’est un bien. Il faut le courage de l’espérance pour porter la souffrance et pour continuer d’affirmer que la vie vaut le coup d’être vécue

Très tôt, Thérèse vit ce monde-ci comme si c’était un exil. C’est un mot qui revient très souvent : l’expression “cette terre d’exil” pour parler du temps où nous vivons revient fréquemment sous sa plume. Pour elle, la véritable Patrie, c’est le Ciel, et nous sommes ici en exil. — C’est ce que l’Église chante dans le champ du Salve Regina, où nous nous nommons les fils d’Eve exilés : éxules fílii Hévæ. — Mais sur la fin de sa vie, dans ses dernières paroles que ses sœurs prennent à la volée, Sœur Marie de la Trinité a noté ceci (Thérèse est dans ses derniers jours) :

La vie n’est pas triste ! Elle est au contraire très gaie. Si vous disiez : “L’exil est triste”, je vous comprendrais. On fait erreur en donnant le nom de vie à ce qui doit finir. Ce n’est qu’aux choses du ciel, à ce qui ne doit jamais mourir qu’on doit donner ce vrai nom ; et, à ce titre, la vie n’est pas triste, mais gaie, très gaie !… Quelle belle distinction ! La vie n’est pas triste ! Elle est au contraire très gaie. L’exil où nous sommes fait que nous ne jouissons pas de la plénitude et de la vie. Et lorsqu’un jeune homme demandera à Jésus : Que faut-il faire pour obtenir cette vraie vie ? (Mc 10,17) — En langage évangélique, la question est : que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? — Mais ce que cherche cet homme, c’est la vraie vie ! Jésus ne lui répond pas : Meurs et tu auras la vraie vie. Il ne lui dit pas : Mets fin à ta vie et tu auras la vraie vie… Il lui dit : Observe les commandements, détache-toi de tout et suis-moi. Le chemin de la vraie vie, frères et sœurs, c’est Jésus. Le chemin de la vraie vie, c’est Jésus. Et Thérèse le dit à un autre endroit ; dans une lettre à sa sœur, mère Agnès, elle écrit :

Oh ! que la terre est exil !… Il n’y a aucun appui à chercher en dehors de Jésus car Lui seul est immuable.

Cela rejoint un peu ce qu’on appelle la devise des chartreux : Stat Crux dum volvitur orbis – la croix demeure tandis que le monde tourne.

Et Thérèse continue :

Quel bonheur de penser qu’il ne peut changer… Quelle joie pour notre cœur de penser que notre petite famille aime si tendrement Jésus.

Et un peu plus loin.

Demandez à Jésus que le plus petit, que le dernier ne soit pas le dernier à l’aimer de toute sa puissance d’aimer !…

(LT 104 à Mère Agnès 5-6 mai 90)

En comprenant comment Jésus est ce qui est stable, immuable, et comment connaître Jésus permet de traverser cet exil, cette terre d’exil et les épreuves de la vie, Thérèse a en même temps le désir que toute personne connaisse Jésus et en particulier les plus petits. Et nous savons qu’elle entre Carmel pour les pauvres pécheurs, pour gagner des âmes à Jésus, c’est-à-dire pour que tous puissent invoquer le nom de Jésus.

C’est ce que fait Jésus : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » « C’est pour cela que je suis sorti ce matin de Capharnaüm »… mais allons plus loin : « C’est pour cela que je suis sorti du Ciel pour venir sur la terre, en cette terre d’exil, pour proclamer l’Évangile, c’est-à-dire pour apporter le salut aux hommes. »

C’est pour cela aussi que Paul va s’écrier : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée.

Mon mérite, c’est d’annoncer l’évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile ».

Oui, elle passe la figure de ce monde. Nous sommes bien sur une terre d’exil. Nous sommes faits pour le Ciel, pour la vie avec Dieu au cœur de la Trinité Sainte. Et nous avons à aimer cette vie qui déjà est présente par le mystère du Christ, cette vie qui, j’allais dire, coule en nos veines par le baptême et particulièrement par l’Eucharistie. Nous sommes en cette terre d’exil, ayant en nous la puissance de la vie du Ciel, et c’est à cela qu’il faut nous accrocher fermement. Nous oublions parfois trop souvent que Thérèse est une carmélite et ce qui caractérise la vie du Carmel aujourd’hui encore, ce sont ces deux heures d’oraison silencieuse — une heure le matin, une heure en fin de journée — où les fils et filles du Carmel, les hommes comme les femmes, prennent le temps de s’arrêter dans le silence et de se tenir en présence de Dieu pour accueillir cet amour de Dieu, accueillir cette présence de Jésus et méditer la parole de Dieu. En cela, ils ne font qu’imiter Jésus. Vous l’avez entendu dans l’évangile, c’est le verset 35 du premier chapitre de saint Marc : « Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait ». Je pense que cette mention n’est pas anecdotique pour qu’on nous donne une anecdote de la vie de Jésus. Comme dirait le pape François, en utilisant un “gros mot” : la vie de Jésus est paradigmatique — en français plus simple, elle est un modèle pour nous. Et lorsqu’on nous dit que Jésus se lève bien avant l’aube pour aller prier, c’est pour nous inviter nous-mêmes à nous lever bien avant l’aube pour aller prier, pour imiter le Seigneur. Jésus, dans son humanité, vit ce besoin de consacrer du temps à sa relation avec le Père, à écouter le Père dans le silence de la terre. En cette terre d’exil, de pouvoir toucher au Ciel. Nous ne sommes ni Carmes, ni Carmélites je l’entends bien, mais étant disciple de Jésus, baptisés, confirmés je l’espère, ayant reçu la plénitude du don de l’Esprit-Saint, nous avons besoin de prendre quotidiennement du temps de silence pour nous tenir en présence du Seigneur, goûter son amour et écouter sa parole.

C’est ainsi que nos vies pourront petit à petit se convertir.

C’est ainsi que progressivement la charité et l’espérance pourront habiter notre cœur, par la foi que nous cherchons à vivre.

Et c’est ainsi que nos vies annonceront l’Évangile… non pas d’abord par la conscience que nous en avons ; mais si nous vivons cette terre d’exil avec ses épreuves dans la logique du Ciel et dans la joie du Ciel, alors nos vies elles-mêmes proclameront à notre monde l’Évangile du Seigneur.

Amen