Homélie du Père Emmanuel Schwab

4ème dimanche Pendant l’Année – Année B

1ère lecture : Deutéronome 18,15-20

Psaume : 94 (95),1-2, 6-7abc, 7d-9

2ème lecture : 1 Corinthiens 7,32-35

Évangile : Marc 1,21-28

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Tel que le Livre de l’Exode décrit la manifestation de Dieu au milieu de son peuple, lorsque Dieu va donner à Moïse les paroles de l’Alliance, on peut comprendre que le peuple a peur. Ce qui est décrit ressemble fort à une éruption volcanique… Et ce que nous entendons dans ce passage du livre du Deutéronome : « Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir ! » n’est pas l’expression d’un rejet de Dieu mais d’une peur devant la manière dont Dieu se manifeste. Moïse est celui qui est choisi pour franchir cette distance entre Dieu et le peuple, pour oser s’approcher, et ensuite transmettre au peuple les paroles de Dieu. Et nous entendons aujourd’hui cette promesse de Dieu : Le Seigneur fera se lever un prophète comme moi, dit Moïse, et vous l’écouterez. C’est une des nombreuses annonces du Messie dans les Saintes Écritures.

Le passage de l’Évangile de Marc que nous avons entendu est au tout début de l’Évangile. L’Évangile de Marc commence par une évocation de la proclamation de Jean et du baptême du Seigneur, puis une évocation de la prédication de Jésus qui reprend celle de Jean, et l’appel des quatre premiers disciples.

Jusque-là, on n’a entendu aucun homme parler à Jésus. Suit immédiatement ce que nous avons lu aujourd’hui : Jésus qui rentre un jour de sabbat dans la synagogue de Capharnaüm, et il enseigne. La première chose, c’est cette surprise qu’il enseigne “avec autorité”. Et ce qui fait que Jésus enseigne avec autorité, c’est qu’il n’y a pas de distance en lui entre ce qu’il est, ce qu’il vit et ce qu’il dit, puisqu’il est lui-même le Verbe de Dieu. Il est lui-même la parole de Dieu. Il n’est pas un instrument par qui Dieu parle comme un porte-voix : il est dans toute sa personne divine la parole du Père. Un homme se lève et se met à crier : « Que nous veux-tu Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : Tu es le Saint de Dieu ». C’est une première apparente profession de foi : « Je sais qui tu es, tu es le Saint de Dieu ». Cela n’est pas faux ; c’est même vrai. Mais pourquoi Jésus le fait-il taire ? Jésus le fait taire parce que ça n’est pas une confession de foi au sens d’un acte de confiance en Jésus envoyé par le Père. Jésus dévoile que cette apparente profession de foi est en fait démoniaque. « “Silence ! Sors de cet homme”. L’esprit impur le fit entrer en convulsions ». Cet esprit impur a dit vrai lorsqu’il dit que Jésus est le Saint de Dieu, mais il le dit d’une manière telle qu’il veut en inquiéter l’homme : Tu es venu pour nous perdre.

Cet esprit impur est souvent à l’œuvre dans nos vies… Qui n’a jamais eu peur de ce que Dieu pourrait lui demander ? Qui n’a jamais eu peur que les commandements de Dieu l’entraînent trop loin ou lui demandent trop de renoncements ou trop d’efforts ? Qui, au fond, n’a jamais entendu à l’intérieur de son cœur cette parole de l’esprit impur : Que nous veux-tu Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Et nous sommes tous porteurs d’une connaissance de Jésus qui est à la fois vraie et à la fois méfiante. Nous avons tous à nous laisser dépouiller de l’esprit impur qui nous fait avoir peur de Jésus.

Thérèse est évidemment un modèle de femme délivrée de cet esprit impur. Sa dernière lettre, sous forme d’une image représentant les mains du prêtre qui élève l’hostie et où est écrit à côté : Je ne puis craindre un Dieu qui, pour moi, s’est fait si petit, il n’est qu’amour et miséricorde.

Tout se passe comme si Marc, en écrivant son Évangile, commence par nous alerter sur le fait que nous abordons l’Évangile avec des idées fausses sur Jésus et qu’il faut nous laisser purifier par Jésus pour que Jésus puisse se révéler de manière renouvelée à nous, dans la vérité de son être ; et qu’il se révèle à nous comme Sauveur.

Nous reprenons dans cette année liturgique, une lecture plus ou moins continue de l’évangile de Marc. Faisons-en une lecture habituelle et prenons le temps durant cette année de lire et de relire en son intégralité l’Évangile de Marc dans ce désir que le Seigneur se révèle davantage à nous ; ou, pour reprendre la manière dont saint Paul résume ce qui s’est passé sur le chemin de Damas — il le fait dans la Lettre aux Galates (1,16) où il dit : « Quand il a plu au Père de révéler en moi son Fils » —, c’est une prière que nous pourrions faire : « Père révèle en moi ton Fils. »

Dans la deuxième lecture, nous avons entendu ce passage de saint Paul aux Corinthiens qui, à une époque où on attend la venue du Seigneur en gloire de manière assez proche, invite à rester dans l’état où l’on est et fait voir tous les avantages qu’il peut y avoir à être entièrement au service du Seigneur sans avoir le souci d’une famille. Mais depuis 2000 ans, l’Église a approfondi le mystère de la présence du Christ et du chemin de la sainteté, et les chrétiens ont vu qu’il était possible de rester attachés au Seigneur sans partage, tout en vivant le sacrement du mariage. Et il n’est pour exemple que les saints époux Louis et Zélie Martin pour nous rappeler qu’il est possible dans le mariage d’appartenir au Seigneur sans partage. Et il est intéressant de voir comment ils ont vraiment fondé leur relation sur Jésus, et comment ils ont vécu leur amour conjugal et parental dans le Seigneur, sans partage.

Mais comment lire l’Évangile ? L’Évangile est une vraie nourriture. Pour cela, il nous faut toujours le lire dans un acte de foi où nous demandons à l’Esprit Saint d’ouvrir notre intelligence et notre cœur pour que nous puissions nous laisser enseigner par lui. Thérèse fait de l’Évangile sa nourriture première, et plus elle avance dans sa vie de carmélite, plus l’Évangile prend une place importante. Elle écrit :

Si j’ouvre un livre composé par un auteur spirituel (même le plus beau, le plus touchant), je sens aussitôt mon cœur se serrer et je lis sans pour ainsi dire comprendre, ou si je comprends, mon esprit s’arrête sans pouvoir méditer… Dans cette impuissance L’Écriture Sainte et l’Imitation viennent à mon secours ; en elles je trouve une nourriture solide et toute pure. Mais c’est par dessus tout l’Évangile qui m’entretient pendant mes oraisons, en lui je trouve tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme. (Ms A, 83 r° et v°)

C’est cela qu’il nous faut chercher à vivre : parcourir l’Évangile pour trouver ce qui nous nourrit véritablement.

Et le pape François, dans son Exhortation “C’est la confiance” sur sainte Thérèse, qu’il a publiée le 15 octobre dernier, donne ce qui, à ses yeux, est la clef de la manière dont Thérèse lit l’Évangile. Il écrit ceci :

L’acte d’amour “Jésus, je t’aime”, continuellement vécu par Thérèse comme une respiration, est la clé de sa lecture de l’Évangile. Elle se plonge avec cet amour dans tous les mystères de la vie du Christ, dont elle devient contemporaine, habitant l’Évangile avec Marie et Joseph, Marie Madeleine et les Apôtres. Avec eux, elle pénètre dans les profondeurs de l’amour du Cœur de Jésus. Prenons un exemple : « Lorsque je vois Madeleine s’avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu’elle touche pour la première fois ; je sens que son cœur a compris les abîmes d’amour et de miséricorde du Cœur de Jésus et que toute pécheresse qu’elle est ce Cœur d’amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l’élever jusqu’aux plus hauts sommets de la contemplation ». (n°34)

Eh bien, frères et sœurs, demandons à l’Esprit Saint cette grâce d’être délivrés de l’esprit impur qui nous ferait craindre le Seigneur Jésus. Mais au contraire, demandons à l’Esprit Saint de faire grandir en nous notre amour pour Jésus, afin que nous puissions, en méditant les Évangiles, laisser le Seigneur nous enseigner et nous révéler qu’il n’est qu’amour et miséricorde.

Amen