Homélie du Père Emmanuel Schwab

Christ Roi de l’Univers – Année A

1ère lecture : Ezéchiel 34, 11-12.15-17

Psaume : 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6

2ème lecture : 1 Corinthiens 15, 20-26.28

Évangile : Matthieu 25, 31-46

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Je ne sais quelle influence sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a eu sur le pape Pie XI pour que celui-ci décide d’instaurer cette fête du Christ Roi en 1925. C’était l’année Sainte, comme nous aurons une année sainte dans un an et demi, et c’est aussi l’année de la canonisation de sainte Thérèse. Le pape a voulu honorer cette royauté du Christ qui n’est pas seulement une royauté spirituelle, mais qui doit aussi marquer notre vie d’homme et la vie de nos sociétés. Cette fête était instaurée en 1925 le dernier dimanche avant la Toussaint. La réforme liturgique des années 60 l’a amenée au dernier dimanche de l’année liturgique : dimanche prochain, en effet, nous entrerons dans une nouvelle année en célébrant le premier dimanche de l’Avent.

Thérèse a vécu toute son enfance en contemplant son père, Louis, comme étant son roi ; l’admiration de la petite fille devant son papa… Et Louis n’a pas joué de cela, il l’a accueilli. Thérèse a développé en elle un amour parallèle pour son roi chéri qui était son père, mais aussi pour le Christ Roi. Sa dévotion pour sainte Jeanne d’Arc a un lien très étroit avec cela. Elle l’explique sur la fin de sa vie à l’abbé Bellière dans une lettre qu’elle lui écrit et lui dit ceci :

Lorsque je commençais à apprendre l’histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d’Arc me ravissait, je sentais en mon cœur le désir et le courage de l’imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses. Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du Ciel m’invitant au combat, j’entendis au fond de mon âme une voix plus douce, plus forte encore, celle de l’Époux des vierges qui m’appelait à d’autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses, et dans la solitude du Carmel j’ai compris que ma mission n’était pas de faire couronner un roi mortel mais de faire aimer le Roi du Ciel, de lui soumettre le royaume des cœurs

Voyons ce parallèle entre Jeanne d’Arc et Thérèse : Jeanne va vouloir mettre le roi de France à sa place et Thérèse veut mettre le roi du Ciel à sa place. Et où est sa place ? Sa place est de régner dans le cœur des hommes : « Je me tiens à la porte et je frappe, dit le Seigneur dans le livre de l’Apocalypse (3,20), si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi ». Et le Seigneur met sur nos lèvres, dans la prière du Notre Père, cette supplication à Dieu notre Père : Que ton règne vienne !

Le règne de Dieu n’existe pas ailleurs que là où on le laisse régner. Le Christ n’exerce pas sa Royauté ailleurs que là où on le laisse régner. Mais là où le Christ ne règne pas, ce n’est pas le Royaume de Dieu. Je ne sais pas si vous avez remarqué la subtilité de l’Évangile que nous venons d’entendre. Il y a d’une part : le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde, et puis il y a le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Le feu éternel n’est pas préparé pour nous, il est préparé pour le diable. Ce qui est préparé pour nous, c’est le Royaume ; mais désirons-nous entrer dans ce Royaume ? Désirons-nous vivre la grâce de ce Royaume ? Voulons-nous activement que le Christ règne sur nous dans nos vies ? C’est-à-dire, au fond, à qui obéissons-nous ? La Parole de Jésus est-elle une référence constante dans notre vie ? Dans nos choix, la Parole du Seigneur a-t-elle une importance, je dirais même première ? Car vouloir que le Christ règne dans nos vies, c’est vouloir faire ce qu’il dit. Thérèse utilisera une autre expression : ce qu’elle veut, c’est faire plaisir à Jésus. C’est-à-dire que sa relation au Seigneur est une relation d’amour, une relation amoureuse.

Du temps où, en France, il y avait un roi, les sujets du roi n’avaient pas de relation amoureuse avec le roi, ils en étaient les sujets et il s’agissait d’obéir aux lois. De même qu’aujourd’hui il y a des lois qui sont votées au Parlement et il s’agit pour nous d’obéir, pas forcément de les aimer. Avec le Christ, il en va autrement : il s’agit d’aimer le Seigneur de telle sorte que sa parole n’est plus une loi ; elle devient quelque chose de bien plus fort : c’est la parole de l’être aimé qui s’adresse à celui qu’il aime et qu’il appelle à faire le bien pour avancer sur un chemin de vie. Comment n’aimerions-nous pas ainsi ce que le Seigneur nous demande ? Et comment n’éprouverions-nous pas en nous la joie de faire ce que le Seigneur demande ?

Mais quelle est cette Royauté ? Dans un texte très important du pontificat de saint Jean-Paul II, l’Exhortation apostolique post-synodale sur les fidèles laïcs du Christ, au numéro 14, le pape s’arrête sur la triple charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ, qui est partagée par les fidèles du Christ. À propos de cet office royal, il écrit ceci :

Par leur appartenance au Christ, Seigneur et Roi de l’Univers, les fidèles laïcs participent à son office royal, et sont appelés par Lui au service du Royaume de Dieu et à sa diffusion dans l’histoire. Ils vivent la royauté chrétienne tout d’abord par le combat spirituel qu’ils mènent pour détruire en eux le règne du péché (cf. Rm 6,12) et ensuite par le don d’eux-mêmes pour servir, dans la charité et dans la justice, Jésus Lui-même, présent en tous ses frères, surtout dans les plus petits (cf. Mt 25,40).

C’est une référence explicite à l’Évangile que nous avons entendu. L’office royal qui est le nôtre comme baptisés, c’est donc de mener le combat spirituel pour que le Christ règne en nous et non pas le péché, et c’est nous faire les serviteurs des plus petits d’entre nos frères parce que le Seigneur Jésus a voulu s’identifier à eux : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».

Nous sommes donc devant un double paradoxe avec le Seigneur. C’est qu’il est le roi qui se fait lui-même le plus petit, le plus pauvre, mais aussi le serviteur — rappelons-nous du lavement des pieds. Il est le bon Pasteur, comme la première lecture l’a évoquée, mais qui se fait en même temps agneau et Agneau pascal qui livre sa vie. Nous avons à entrer nous-mêmes dans cette attitude-là, qui est d’accueillir l’extraordinaire dignité reçue par le baptême où nous devenons enfants de Dieu, partageant la filiation du Fils unique, Jésus ; et en même temps, nous avons à entrer dans le chemin d’humilité du Christ pour apprendre à donner notre vie jusqu’au bout de l’amour, comme Jésus lui-même a donné sa vie.

Nous avons entendu dans la première lecture tout ce que Dieu veut faire pour les brebis du troupeau. Si nous sommes unis à Jésus et si nous sommes disciples de Jésus, il nous faut travailler avec lui à son œuvre. Il est intéressant de relire ce passage du livre d’Ézéchiel, la première lecture que nous avons entendue, pour nous demander comment nous pouvons aider Jésus à faire son travail.

Il veut veiller sur les brebis, sur ses brebis. Comment est-ce que j’aide Jésus à veiller ainsi ? Comment je participe à cette veille sur les brebis ?

Il veut les délivrer de tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées. Comment est-ce que je travaille avec Jésus pour délivrer ceux qui sont dans les liens du péché, dans les liens des addictions, qui sont dans les liens des ténèbres ?

La brebis perdue, je la chercherai. Comment est-ce que j’ai le souci de la brebis perdue, du baptisé qui a perdu le chemin de la foi, le chemin de la vie sacramentelle ?

L’égarée, je la ramènerai. Comment est-ce que j’aide le Seigneur à ramener la brebis égarée ?

Celle qui est blessée, je la panserai. Comment est-ce que j’aide Jésus à guérir, à soigner ceux qui sont les blessés de la vie ?

Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Comment est-ce que j’aide Jésus à transmettre cette force qui vient de lui ?

Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître selon le droit. Comment est-ce que, là aussi, j’aide le Seigneur à pouvoir garder les brebis vigoureuses, à continuer de les nourrir, de les fortifier pour qu’elles ne dépérissent pas ?

La Royauté du Christ, c’est de prendre soin de tous.

La Royauté du Christ, c’est de servir tout homme pour le conduire au Royaume. En célébrant aujourd’hui le Christ, roi de l’univers, nous pourrions peut-être, dans le silence de notre cœur, renouveler notre décision de travailler avec Jésus pour que son règne grandisse, de travailler avec Jésus pour que l’Évangile retentisse dans notre monde, pas d’abord par notre discours, mais d’abord par notre vie, d’abord par notre charité, alimentée par notre foi et notre espérance.

Demandons cette grâce en célébrant l’Eucharistie et offrons-nous généreusement, par Jésus, avec Lui et en Lui.

Amen