Vendredi 18 avril 2025 – Année C

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Is 52,13 – 53,12
Psaume : 30 (31), 2ab.6, 12,13-14ad,15-16,17.2
2ème lecture : He 4, 4-16 ; 5,7-9
Évangile : Jn 18,1 – 19,42

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“Il était fou notre Bien-Aimé de venir sur la terre chercher des pécheurs pour en faire ses amis, ses intimes, ses semblables, lui qui était parfaitement heureux avec les deux adorables personnes de la Trinité. Nous ne pourrons jamais faire pour lui les folies qu’il a faites pour nous et nos actions ne mériteront pas ce nom car ce ne sont que des actes très raisonnables et bien au-dessous de ce que notre amour voudrait accomplir. C’est donc le monde qui est insensé, puisqu’il ignore ce que Jésus a fait pour le sauver. C’est lui qui est un accapareur qui séduit les âmes et les mène à des fontaines sans eau…”

C’est en 1894, un mois avant l’entrée de Céline au Carmel, que Thérèse écrit ainsi à sa sœur. Oui, il était fou, notre Bien-Aimé !

Nous sommes bien habitués à dire que Jésus a livré sa vie sur la croix pour nous. 

Nous sommes bien habitués à voir des crucifix dans nos maisons, à certains carrefours, dans nos églises… La liturgie du Triduum Pascal nous invite à renouveler ce regard et à contempler dans la Passion de Jésus et dans sa crucifixion, la profondeur de l’amour que Dieu a pour nous. En Jésus, et particulièrement en Jésus crucifié, nous est révélé la grandeur de la miséricorde de Dieu pour chacun de nous. 

L’Église nous invite à faire nôtre le cri de Paul dans la Lettre aux Galates : « Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré pour moi » (5,22), pas seulement pour nous, mais aussi pour moi ! Et tout à l’heure, lorsque nous viendrons adorer la croix, embrasser la croix, je vous invite vraiment à faire monter en votre cœur, autant que la faiblesse humaine le permet, l’expression d’une gratitude envers Jésus : c’est pour moi que tu as livré ta vie, c’est pour m’ouvrir le chemin du ciel. Lorsque nous parlons ainsi à la première personne, nous comprenons bien que nous pouvons le dire pour toute personne humaine. Et comprendre que Jésus a livré sa vie pour moi, c’est identiquement recevoir la grâce de vouloir l’annoncer, le faire connaître au monde entier. Aimer Jésus et le faire aimer sont deux actions indissociables.

Notre Bien-Aimé était fou. Mais aujourd’hui, notre monde vit une autre sorte de folie : ayant perdu de vue le Ciel, ayant perdu de vue le chemin du Ciel, c’est-à-dire le chemin de l’accomplissement de la vie humaine, notre monde est à la fois fasciné par la mort et cherche à la cacher. 

Nous avons écarté presque tous les signes du deuil, que ce soient les signes vestimentaires du deuil, les signes extérieurs sur les maisons — que j’ai connus enfant lorsque quelqu’un décédait dans une maison — ; nous avons repeint nos corbillards dans des jolies couleurs pour n’effrayer personne. Quelque 230 000 petits bébés meurent dans le silence et dans l’invisibilité avec l’avortement dans notre pays chaque année. Et nous avons inscrit cela comme un droit imprescriptible dans la Constitution. Personne ne voit ces morts. Mais combien de souffrances… Nous nous apprêtons à faire mourir les personnes âgées dépendantes, à faire mourir les grands malades. Il est même question de faire mourir les gens qui viennent chez nous parce qu’ils n’ont pas cela chez eux. Quelle folie, frères et sœurs, quelle folie… Comment pouvons-nous oublier à ce point le sens de la vie humaine et donc le sens de la mort humaine ? Comment, après tant de siècles d’expérience spirituelle du Salut qu’apporte le Seigneur Jésus, pouvons-nous aussi rapidement l’écarter et l’oublier ? Et à la fois, nous masquons la mort et nous voulons la rendre ou nous la rendons omniprésente. Nous voulons avoir autorité sur la mort. Nous voulons la donner nous-mêmes et non plus la recevoir comme un chemin que seul Dieu peut transformer en chemin de vie. Nous n’avons pas la possibilité par nous-mêmes d’entrer dans le Royaume. Nous ne pouvons que le recevoir comme une grâce… Lorsque l’homme riche vient trouver Jésus lui disant : « Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Mt 19,16) C’est-à-dire : que dois-je faire pour aller au Ciel, que dois-je faire pour atteindre le Royaume ? Jésus ne lui dit pas : « Suicide-toi, », il lui dit : « Observe les commandements ». Et l’autre dit : Mais je l’ai fait déjà ; et je vois bien que ça ne suffit pas… « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi ». C’est-à-dire, ne compte sur aucune de tes forces, aucune de tes puissances pour entrer au Ciel, mais compte sur moi, Jésus.

Nous avons, frères et sœurs, vraiment une bonne nouvelle à faire entendre au monde, à notre monde. Non pas faire des leçons de morale, la question n’est pas là, mais faire connaître la puissance de vie qui nous est donnée en Jésus, la puissance de Salut qui nous est donnée en Jésus. 

Je me souviens d’une paroissienne baptisée tard dans sa vie et qui reprochait presque aux chrétiens de ne pas lui avoir fait connaître Jésus plus tôt, en disant : que de temps perdu dans ma vie ! 

Oui, frères et sœurs, si nous sommes là cet après-midi, c’est que le Seigneur veut faire de nous ses messagers, veut faire de nous les témoins d’une bonne nouvelle : c’est que par sa mort et sa résurrection, Jésus fait non seulement de la mort un chemin vers le Père, si nous y entrons avec lui, mais il fait de toutes nos épreuves, de toutes nos souffrances, un chemin de vie, si nous les vivons avec Jésus, si nous accueillons le Seigneur Jésus au cœur même de nos épreuves.

Le Seigneur a fait des folies pour nous, faisons des folies pour lui. 

Dans une lettre, trois mois avant sa propre mort, Thérèse écrit à sœur Anne du Sacré-Cœur, qui est au Carmel de Saïgon au Vietnam :

“O ma Sœur ! je vous en prie, demandez à Jésus que moi aussi je l’aime et le fasse aimer ; je voudrais l’aimer non d’un amour ordinaire mais comme les Saints qui faisaient pour Lui des folies. Hélas !! que je suis loin de leur ressembler !… Demandez encore à Jésus que je fasse toujours sa volonté, pour cela je suis prête à traverser le monde… et je suis prête aussi à mourir !”

Demandons cette même grâce pour nous, d’aimer Jésus de le faire aimer, et de faire toujours sa volonté.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire