Dimanche 22 juin 2025

Saint Sacrement du corps et du sang du Christ — Année C
Solennité

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Genèse 14,18-20

Psaume : 109 (110),1, 2,3, 4

2ème lecture : 1 Corinthiens 11,23-26

Évangile : Luc 9,11b-17

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« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. »

Le lien du mystère de l’Eucharistie avec le Mystère Pascal de la mort et de la résurrection du Seigneur est clairement souligné par saint Paul. Nous proclamons la mort du Seigneur parce que cela signifie la réalité du mystère de l’Incarnation. Le Verbe s’est fait chair ; le Fils éternel du Père éternel s’est vraiment fait homme « en tout semblable à nous à l’exception du péché », dit la Lettre aux Hébreux, et il a vécu notre condition d’homme jusqu’à ce point de la mort, ce point qu’on pourrait appeler final, mais que Jésus va transformer. Comme il entre dans le mystère de la mort en pleine communion avec le Père, il pourra y recevoir la vie plus forte que la mort : en sa personne, la mort est morte, la mort est vaincue. Désormais le Salut consiste à être gracieusement, gratuitement “mis” avec Jésus. C’est tout l’enjeu du baptême, d’être mis avec, d’être unis à Jésus, de devenir membre de son corps, ce corps ressuscité en lequel il a vaincu la mort, pour qu’à notre tour nous vivions de cette victoire. Mais cette victoire a besoin d’être sans cesse nourrie. Comme nous vivons dans le temps, nous avons besoin d’être accompagnés dans ce temps. Et de même que notre corps a besoin de nourriture quotidienne — et que s’il est possible de jeûner quelques jours, il n’est pas possible de jeûner de longs mois — de même notre être chrétien, notre vie de baptisés, notre vie d’enfant de Dieu a besoin d’être nourrie. Et cette nourriture, c’est le Christ de Jésus lui-même.

Ce mystère de la présence eucharistique de Jésus, le pain vivant descendu du ciel comme il se nomme lui-même (Cf. Jn 6,51), est bien sûr très présent dans la vie de sainte Thérèse. Je ne fais là que citer un passage, mais on pourrait en trouver bien d’autres ; un passage qui est dans la poésie 24. Thérèse y parle à Jésus :

Rappelle-toi que montant vers Le Père

Tu ne pouvais nous laisser orphelins

Et te faisant prisonnier sur la terre

Tu sus voiler tous tes rayons divins

Mais l’ombre de ton voile est lumineuse et pure

Pain Vivant de la foi, Céleste Nourriture

O mystère d’amour !

Mon Pain de chaque jour

Jésus, c’est Toi !

Mon pain de chaque jour Jésus, c’est toi… Quels moyens prenons-nous pour nous nourrir de Jésus ? Quels sont les relais dans notre vie de la nourriture eucharistique dominicale ? Comment travaillons-nous à ce que cette nourriture porte du fruit, à ce qu’elle continue de nous habiter et de nous faire vivre ? Quand on fait une recherche du mot “nourriture” dans les écrits de Thérèse, on est surpris de s’apercevoir qu’elle parle peu de l’Eucharistie comme nourriture. Mais elle parle de bien d’autres nourritures ; j’en ai relevé quelques-unes :

[Dans] l’Écriture Sainte et l’Imitation […] je trouve une nourriture solide et toute pure. Mais c’est par-dessus tout l’Évangile qui m’entretient pendant mes oraisons, en lui je trouve tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme. J’y découvre toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux… (MsA83)

Comment l’Écriture Sainte est-elle une nourriture dans nos vies ? Comment prenons-nous le temps de la recevoir, de la manger ? Et comment cette nourriture nous éclaire-t-elle, nous fortifie-t-elle ?

Une autre nourriture, dans le manuscrit C vers la fin :

L’amour se nourrit de sacrifices, plus l’âme se refuse de satisfactions naturelles, plus sa tendresse devient forte et désintéressée. (MsC 21v)

L’amour se nourrit de sacrifices : comment ces sacrifices dont parle Thérèse nourrissent-ils notre vie ? Comment sont-ils présents et comment font-ils partie de notre réponse à l’amour de Dieu ?

Revenons encore à l’Eucharistie dans une lettre à Céline :

Souvent nous descendons dans les vallées fertiles où notre cœur aime à se nourrir, le vaste champ des écritures qui tant de fois s’est ouvert devant nous pour répandre en notre faveur ses riches trésors. (LT165)

Une autre nourriture dont parle Thérèse, c’est dans le Carnet jaune, le 3 juillet 1897 :

J’ai besoin d’une nourriture pour mon âme ; lisez moi une vie de saint. (CJ 3 juillet, 4)

Lisez-moi une vie de saint : comment prenons-nous le temps de fréquenter ce vaste champ qu’est la vie des saints, comment, de temps en temps, prenons-nous le temps de lire telle ou telle vie de saint, pour nourrir notre vie, pour nous montrer une manière de vivre l’évangile ?

Et dernière nourriture encore, c’est le 5 août :

Je ne puis me nourrir que de la vérité. L’Écriture Sainte, les sacrifices, les vies de saints, la vérité, comment est-ce que tout cela participe de notre nourriture ? Comment sommes-nous attentifs à ce qui rentre dans notre cœur, ce qui nourrit notre cœur ? Nous lisons sans cesse, dans les journaux, des articles sur la manière de nourrir notre corps sur ce qui est bon, ce qui n’est pas bon, et cætera. Comment avons-nous au minimum la même hygiène de vie pour notre cœur ? Comment le nourrissons-nous ? Et toutes ces nourritures viennent comme compléter la nourriture fondamentale de l’Eucharistie.

Si le Seigneur se donne à nous, c’est aussi pour que nous puissions nous donner nous-mêmes, nous donner à lui et en nous donnant à lui nous donner à nos frères. Thérèse contemple aussi le fait de nourrir Jésus et dans un dans une récréation pieuse, Le divin petit mendiant de Noël, nous lisons ceci :

O ma Sœur ! soyez-en bien sûre,

Jésus ne veut que votre amour,

Il se nourrit de l’âme pure

Voilà son Pain de chaque jour.

C’est un des traits repérables chez Thérèse, c’est que Jésus attend de nous quelque chose. Elle appelle d’ailleurs cette pièce Le divin petit mendiant de Noël. Oui, Jésus attend notre amour, Jésus attend que nous l’aimions. Non pas parce que ce serait chez lui un manque, mais parce qu’il sait que nous sommes faits pour cela et que notre véritable joie est là : d’accueillir l’amour de Dieu donné en Jésus, de répondre à cet amour par l’amour parce que, comme le dit saint Jean de la Croix qu’aime citer Thérèse régulièrement : « l’amour ne se paye que par l’amour ». Jésus attend notre amour et nous vérifions la vérité de notre amour pour Jésus dans la réalité de notre amour pour le prochain.

Enfin, une dimension que je voudrais souligner par rapport au mystère de l’Eucharistie et qui est aussi présent chez Thérèse, c’est la volonté de Jésus de venir faire en nous sa demeure. Souvenez-vous de cette parole à la fin du troisième chapitre du livre de l’Apocalypse : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20). Jésus se tient à la porte et frappe. Il attend qu’on lui ouvre.

À la fin du manuscrit B — cette grande prière un peu exaltée à Jésus —, Thérèse le contemple comme l’Aigle éternel et elle lui dit ceci :

Aigle Éternel, tu veux me nourrir de ta divine substance, moi, pauvre petit être, qui rentrerais dans le néant si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant… O Jésus ! laisse-moi dans l’excès de ma reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour va jusqu’à la folie… Comment veux-tu devant cette Folie, que mon cœur ne s’élance pas vers toi ? (MsB 5v)

Tu veux me nourrir de ta divine substance… Thérèse va insister sur ce point-là dans une célèbre lettre, la lettre 92 à sa cousine Marie qui deviendra religieuse sous le nom de Marie de l’Eucharistie. Marie est dans le trouble et n’est pas allée communier parce qu’elle est à Paris et est troublée par toutes les images qu’elle voit. Thérèse lui envoie une lettre pour lui dire : mais non, tu as tort parce que Jésus veut venir en toi comme au tabernacle.

Et le Pape dans sa son exhortation sur sainte Thérèse de l’Enfant Jésus va reprendre ce thème-là et il écrit ceci :

19. […] Thérèse préfère souligner la primauté de l’action divine et inviter à la pleine confiance en regardant l’amour du Christ qui nous est donné jusqu’au bout. […]

22. Cette même insistance de Thérèse sur l’initiative divine fait que, lorsqu’elle parle de l’Eucharistie, elle ne met pas en premier son désir de recevoir Jésus dans la sainte communion, mais le désir de Jésus de s’unir à nous et demeurer dans nos cœurs. (Cf. Ms A, 48v ; LT 92, à Marie Guérin – 30 mai 1889) Dans l’Acte d’offrande à l’Amour Miséricordieux, souffrant de ne pouvoir recevoir la communion tous les jours, elle dit à Jésus : « Restez-en moi, comme au tabernacle » (Pri 6). Le centre et l’objet de son regard ne sont pas elle-même avec ses besoins, mais le Christ qui aime, qui cherche, qui désire, qui demeure dans l’âme.

Voilà frères et sœurs, en cette fête du Corps et du Sang du Seigneur, prenons le temps dans cette journée de de méditer vraiment sur ce grand mystère de l’Eucharistie. Prenons le temps, soit dans un temps de prière silencieuse, solitaire, devant le tabernacle, soit en participant à l’exposition du Saint-Sacrement au Carmel cet après-midi, en venant à la procession eucharistique à la basilique cet après-midi, peu importe où et comment… mais prenons le temps de méditer ce grand mystère. Prenons le temps de voir comment nous prenons les moyens de relayer cette nourriture dominicale de l’Eucharistie par ces différentes nourritures que nomme Thérèse. Je les rappelle : l’Écriture Sainte, les sacrifices, les vies de saints, la vérité, et une que je n’ai pas dite parce que cela aurait pris trop de temps de l’expliquer : ce sont les humiliations, ce sera pour une autre fois…

Comment relayons-nous cette nourriture ? Comment l’accueillons-nous ? Comment contemplons-nous dans cette nourriture les folies que le Seigneur a faites pour nous, pour chacun de nous, et comment cherchons-nous à partir de là à répondre en rendant amour pour amour dans notre pauvreté, dans notre faiblesse ?

Et puisque nous ne pouvons pas faire de grandes choses, osons avec Thérèse faire les petites avec beaucoup d’amour, d’amour pour Jésus, d’amour pour nos frères. C’est ainsi que nous comprendrons de l’intérieur le grand mystère de l’Eucharistie.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire