Dimanche 1er juin 2025

7ème dimanche de Pâques – Année C

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Actes 7,55-60

Psaume : 96 (97),1-2b,6.7c,9

2ème lecture : Apocalypse 22,12-14.16-17.20

Évangile : Jean 17,20-26

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Nous sommes comme en tension entre le Ciel et la terre. Jeudi, nous entendions le reproche qui était fait aux apôtres, par les anges, de garder les yeux fixés au ciel : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? ». Et aujourd’hui nous entendons Etienne qui contemple le ciel ouvert, qui fixe le ciel du regard et qui voit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Oui, il nous faut garder les yeux levés vers le Ciel, vers cet horizon vers lequel nous marchons. Et assurément, le ciel du cosmos évoque un autre Ciel vers lequel nous marchons.

Mais en même temps, nous le savons, Jésus continue de demeurer au milieu de nous, et surtout, Jésus nous appelle à aimer comme il nous a aimés, c’est-à-dire à vivre sur cette terre en regardant ce qui se passe autour de nous. Et nous avons d’une certaine manière ce double regard : ce regard vers le Ciel et ce regard vers la terre, qui nous met forcément dans une sorte de tension. Cette tension se résout, pourrait-on dire, dans la personne même de Jésus.

Vous l’avez entendu à la fois dans les Livres de l’Apocalypse et de l’Évangile : cette annonce de la venue du Seigneur — cette seconde venue, ce qu’on appelle la Parousie, la manifestation glorieuse du Seigneur que nous attendons en veillant dans la foi. C’est tout l’exercice spirituel que l’Église nous invite à faire dans le temps de l’Avent : retravailler en nous cette attente de la venue du Seigneur en gloire. Et nous avons entendu aussi cette volonté du Seigneur d’habiter en nous : « Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux ». Le Seigneur veut faire en nous sa demeure. Il veut demeurer chez nous, plus encore que nous ne voulons l’accueillir. Dans une de ses poésies qui s’appelle « les sacristines du Carmel », qui comporte de nombreuses strophes, Thérèse écrit dans la deuxième strophe :

2.  Le Ciel, ô mystère suprême !

Se cache sous un humble pain

Car le Ciel, c’est Jésus Lui-Même,

Venant à nous chaque matin.

Le Ciel, c’est Jésus lui-même… Dans la personne de Jésus, le Ciel est présent, c’est-à-dire le Royaume, c’est-à-dire la vie intime de la Sainte Trinité. Tout l’enjeu de notre vie de chrétien, c’est d’apprendre à accueillir cette présence du Seigneur et à vivre de la présence du Seigneur.

En même temps, le Seigneur n’est plus là : depuis l’Ascension nous ne voyons plus Jésus, il siège à la droite du Père, nous le proclamons dans le Credo ; et en même temps il est mystérieusement présent au milieu de nous de différentes manières, à travers sa parole, à travers les sacrements, mais aussi dans le mystère de l’Église : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » dit le Seigneur (Mt 18,20). Thérèse est particulièrement sensible à chercher Jésus dans les Saintes Écritures et en particulier dans l’Évangile.

C’est tout à la fin du Manuscrit C qu’elle écrit en juin 1897, elle dit :

Puisque Jésus est remonté au Ciel, je ne puis le suivre qu’aux traces qu’Il a laissées, mais que ces traces sont lumineuses, qu’elles sont embaumées !! Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le St évangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir… Ce n’est pas à la première place, mais à la dernière que je m’élance. (MsC 36v). Je traduis : pour imiter le Seigneur.

Il nous faut donc chercher cette présence du Seigneur, apprendre à l’accueillir : l’accueillir dans la méditation des Saints Évangiles et plus largement des Saintes Écritures, l’accueillir à travers les sacrements, en particulier le sacrement de l’Eucharistie. Thérèse s’écriera dans l’offrande à l’amour miséricordieux : restez en moi comme au tabernacle. Cette présence de Jésus en nous qui est nourrie de l’Eucharistie ne se limite pas au moment de la célébration de la messe, et même, cette présence de Jésus en nous est liée profondément à la foi, puisque Paul dit aux Éphésiens : « Que le Christ Jésus habite en vos cœurs par la foi » (Ep 3,17). Il s’agit donc d’accueillir le Seigneur.

C’est pour cela que l’Esprit nous est donné. Le Catéchisme de l’Église Catholique, quand il nous parle de l’Esprit-Saint, nous dit ceci :

L’Esprit prépare les hommes, les prévient par sa grâce, pour les attirer vers le Christ. Il leur manifeste le Seigneur ressuscité, Il leur rappelle sa parole et leur ouvre l’esprit à l’intelligence de sa Mort et de sa Résurrection. Il leur rend présent le mystère du Christ, éminemment dans l’Eucharistie, afin de les réconcilier, de les mettre en communion avec Dieu, afin de leur faire porter “beaucoup de fruit” (Jn 15, 5.8.16). (CEC 737)

Dans ce temps qui sépare l’Ascension de la Pentecôte, l’Église nous invite vraiment à raviver notre prière à l’Esprit-Saint, notre accueil de l’Esprit-Saint. Et j’invite tous ceux qui n’auraient pas encore reçu le beau sacrement de la confirmation, qui seraient seulement baptisés, à se précipiter dans leur paroisse, à aller voir leur curé pour lui demander de recevoir le sacrement de la confirmation, c’est-à-dire la plénitude du don de l’Esprit-Saint. Et vous le savez, il n’y a pas d’âge pour recevoir les sacrements… à tout âge, on peut les recevoir. Le Christ veut habiter en nous : « Père, ceux que tu m’as donné, je veuxje “veux” : Jésus donne des ordres à son Père !? — que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi ». Mais si Jésus vient faire en nous sa demeure, est-ce que je suis là où se trouve Jésus ? Ce serait quand même ballot que Jésus soit en nous et que nous, nous n’y soyons pas ! que nous nous vivions à l’extérieur de nous-mêmes, que nous soyons attirés par plein de choses à l’extérieur et que nous ne prenions pas le temps de nous recueillir, c’est-à-dire de nous unifier en rejoignant ce cœur profond où se trouve le Seigneur. Et quand on comprend cela, on comprend que la vie d’oraison n’est pas réservée aux moines et aux moniales ou aux carmélites.

Réserver la vie d’oraison aux moines et aux moniales, c’est vouloir réserver la respiration aux seuls alpinistes de haute montagne. Nous avons tous besoin de respirer ; nous avons tous besoin de nous recueillir dans le silence pour rejoindre cette présence du Seigneur qui veut faire en nous sa demeure. Et personne ne peut dire : je n’ai pas le temps. Qui ne peut pas prendre au moins 5 minutes par jour de vrai silence pour rejoindre le Seigneur présent au-dedans de lui ? C’est juste une question de décision.

Pourquoi est-il important de rejoindre cette présence de Jésus, de vivre avec Jésus ? Parce que c’est lui qui peut nous changer, c’est lui qui peut changer notre cœur. Le Seigneur est venu pour le salut de tous les hommes et il est clair aujourd’hui que beaucoup ne connaissent pas le Seigneur, que beaucoup ne sont pas en situation d’accueillir ce salut simplement parce qu’ils n’ont pas fait cette rencontre du Sauveur. Et que nous dit le Seigneur ? Il nous dit : « Père, qu’ils soient un en nous — il parle de ses disciples : je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi », c’est-à-dire nous. « Qu’ils soient un en nous pour que le monde croit que tu m’as envoyé. » Et il continue : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ». Cette unité, cette unité de l’Église, que le Seigneur lui communique par sa mort et sa résurrection, il nous faut l’accueillir et la vivre à tous les niveaux. La vivre dans nos familles qui, fondées sur le sacrement de mariage, sont des petites Églises, la vivre dans nos communautés chrétiennes, la vivre dans toutes les activités de l’Église, la vivre aussi au niveau plus large de la rencontre des différentes Églises, des communautés ecclésiales. Il est heureux que le Saint-Père, le pape Léon, ait d’entrée de jeu manifesté cette volonté de l’unité qui est inscrite dans sa devise. Et je le cite, dans la messe d’inauguration du pontificat :

Nous sommes tous constitués « pierres vivantes » (1 P 2,5), appelés par notre baptême à construire l’édifice de Dieu dans la communion fraternelle, dans l’harmonie de l’Esprit, dans la coexistence des diversités. Comme l’affirme saint Augustin : « L’Église est constituée de tous ceux qui sont en accord avec leurs frères et qui aiment leur prochain » (Discours 359, 9).

Cela frères et sœurs, je voudrais que ce soit notre premier grand désir : une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devienne ferment pour un monde réconcilié.

 Et quelques jours après, avec une rencontre des différentes Églises et des communautés ecclésiales, il leur dit :

Cette unité ne peut être qu’une unité dans la foi. En tant qu’Évêque de Rome, je considère comme l’un de mes devoirs prioritaires la recherche du rétablissement de la pleine et visible communion entre tous ceux qui professent la même foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit.

[…] Notre communion se réalise […] dans la mesure où nous convergeons vers le Seigneur Jésus. Plus nous lui sommes fidèles et obéissants, plus nous sommes unis entre nous. C’est pourquoi, en tant que chrétiens, nous sommes tous appelés à prier et à travailler ensemble pour atteindre pas à pas ce but qui est et reste l’œuvre de l’Esprit Saint. (Léon XIV – Discours aux représentants d’autres Églises ou communautés ecclésiales 19 mai 2025)

Puissions-nous garder au cœur ce même désir de vouloir bâtir l’unité.

Et Thérèse dans une lettre à Céline, très tôt puisque c’est la lettre 65, cite une phrase qu’elle a lu je ne sais où, elle lui dit :

J’ai trouvé il y a quelque temps une parole que je trouve bien belle. […] « La résignation est encore bien distincte de la volonté de Dieu, il y a la même différence qu’il existe entre l’union et l’unité. Dans l’union on est encore deux, dans l’unité on n’est plus qu’un. » Oh ! oui ne soyons qu’un avec Jésus méprisons tout ce qui passe, nos pensées doivent se porter au Ciel puisque c’est là la demeure de Jésus. (Lettre 65 à Céline – 20 octobre 1888)

Eh bien faisons nôtre cette prière en ce temps où nous nous préparons à nous laisser renouveler par le don de l’Esprit-Saint à la Pentecôte.

Demandons cette grâce de vivre l’unité avec Jésus et de construire l’unité entre nous en accueillant cette grâce.

Demandons la grâce de savoir accueillir la présence de l’Esprit-Saint, de savoir vivre avec Jésus de manière permanente au plus profond de nous-mêmes pour que le Seigneur par nous, avec nous, et en nous, puisse continuer à sauver le monde.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire