Dimanche 13 juillet 2025

15ème dimanche Pendant l’Année – Année C

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Deutéronome 30,10-14

Psaume : 68,14, 17,30-31,33-34,36ab.37 ou 18b (19),8,9,10, 11

2ème lecture : Colossiens 1,15-20

Évangile : Luc 10,25-37

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« Écoute la voix du Seigneur ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi, et reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme ». Ces paroles proclamées par Moïse, recueillies dans le Livre du Deutéronome, disent toute la vocation du peuple d’Israël, qui est d’écouter, de garder la Parole de Dieu et de la vivre. Mais si cette parole est puissante, elle ne permet pas encore de changer le cœur de l’homme, et il ne suffit pas de vouloir faire le bien pour y parvenir. Saint Paul l’expliquera largement dans la Lettre aux Romains. Il ne suffit pas de vouloir aimer pour aimer droitement. Et même, aujourd’hui, l’on est capable de pervertir le mot amour de bien des manières, jusqu’à prétendre que ce soit par amour que l’on donne la mort. Qu’est-ce donc qu’aimer ?

Un docteur de la Loi vient trouver Jésus, il lui demande ce qu’il faut faire pour avoir la vie éternelle. Cela suggère qu’il y a une action qui va nous permettre d’acquérir par nous-mêmes la vie éternelle… Comme s’il fallait donner quelque chose en échange de ce qui est en fait un don gratuit. Or que faut-il faire pour accueillir un don gratuit ? Il faut le recevoir gratuitement. Et donc la question n’est pas d’abord “que faut-il faire ?”, mais “comment recevoir ?”. Et néanmoins, cet homme répond droitement à Jésus en prenant les deux grands commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ; tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et l’homme, nous dit saint Luc, voulant se justifier, pose la question : « Qui est mon prochain ? ».

Nous voyons bien que si l’on donne une définition positive à cette question, on en perd le sens. Si l’on répond : ton prochain, c’est tout le monde… On approche des 8 milliards d’êtres humains sur la terre : cela va être difficile et d’une certaine manière, cela n’a plus de sens. Si on dit : ton prochain, c’est ceux qui… Cela veut dire que “ceux qui pas”, je n’ai pas besoin de les aimer. Dès que je donne une définition positive d’un groupe, tous ceux qui sont en dehors de cette définition sont exclus. Et donc Jésus va répondre par une parabole.

(Pour ceux qui sont fatigués d’écouter, je vais demander à Mario de projeter une représentation du Bon Samaritain d’Aimé MOROT en 1880. Comme cela vous pouvez vous dispenser de m’écouter et contempler cette lecture du Bon Samaritain qui est très étonnante.)

Il y a donc un homme qui est tombé aux mains des brigands. Cet homme allait de Jérusalem à Jéricho. Cette parabole est entièrement symbolique : Jérusalem c’est la ville où Dieu fait résider sa demeure. Jéricho est en dessous du niveau de la mer, on est sur le chemin qui va jusqu’à la Mer Morte. Le chemin qui va de Jérusalem à Jéricho est symboliquement un chemin qui conduit de la vie à la mort.

Cet homme est tombé aux mains des brigands, il est laissé à demi mort. Passe un prêtre et un Lévite. Nous pouvons discuter longtemps sur ce que dit précisément l’Évangile, le verbe grec utilisé qui est traduit tant en latin d’ailleurs qu’en français, “il passa de l’autre côté”, peut aussi signifier — en tout cas, on en trouve une mention dans le Livre de la Sagesse en ce sens (16,10) — “porter secours”. Que ce soit pour éviter l’homme parce qu’il est à demi mort : s’il est mort, en allant le toucher, le prêtre et le Lévite vont contracter une impureté rituelle et pour pouvoir faire leur service au temple, il va leur falloir faire de nombreuses ablutions pour retrouver un état de pureté rituelle qui leur permettra d’officier ; ce peut être une raison de leur détour. Si l’on traduit : il cherche à lui porter secours, on peut comprendre aussi que le prêtre et le Lévite, avec les institutions de la première Alliance — les sacrifices du temple et la Loi de Dieu — sont impuissants pour rendre la vie à ce mort.

Quelque chose de différent, de nouveau, va se passer avec le Samaritain. Il semble que le mot de Samaritain vienne de la racine hébraïque, shamar, qui veut dire gardien, le Shomer Israël, c’est le Gardien d’Israël et sans doute que cette figure du Samaritain peut évoquer le Seigneur comme Gardien d’Israël. Les Samaritains sont une dissidence juive ; ce sont les Juifs de l’ancien Royaume du Nord, qui sont regardés comme des hérétiques par les Juifs de Judée, mais ils sont quand même membres du peuple de la première Alliance. Lui peut s’approcher et il peut soigner cet homme. Il verse de l’huile et du vin sur les plaies, il le charge sur sa monture et il l’emmène à l’auberge. Il le confie à l’aubergiste, il s’en va en laissant à l’aubergiste 2 pièces pour les frais et s’il y a davantage de dépenses, il remboursera à son retour.

Nous avons là comme une évocation de la figure du Christ, qui vient rejoindre tout homme blessé à mort par le péché, qui vient confier tout homme à l’Église et qui dans son Ascension siège désormais à la droite du Père… Nous attendons sa venue dans la gloire ; et d’ici là, nous dépensons notre vie au service du Seigneur et de nos frères. Qui est mon prochain ? C’était la question. Quelle est la réponse de Jésus ? Il nous faut accepter d’être logique dans notre lecture de la parabole. La question que pose Jésus à la fin de la parabole, c’est : « Lequel des trois, du prêtre, du Lévite et du Samaritain, est devenu le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? » La réponse approuvée par Jésus : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui », donc le Samaritain. Qui est le prochain de qui ? Le Samaritain s’est fait le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands. La figure du prochain dans la parabole, ce n’est pas l’homme tombé aux mains des brigands, c’est le Samaritain. Que devient le commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », si je remplace tu et le prochain par les personnages de la parabole ? Cela devient : l’homme tombé aux mains des brigands aimera le bon Samaritain comme lui-même. C’est cela la réponse de Jésus. Et il complète en disant : « Va, et toi aussi, fais de même ».

C’est-à-dire : fais-toi le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands. Mais si le bon Samaritain est la figure de Jésus et que l’homme tombé aux mains des brigands, c’est la figure de chacun de nous… « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » devient : « Tu aimeras Jésus ton Sauveur comme toi-même. Et va, toi aussi fais de même, fais comme Jésus. »

D’une certaine manière, Jésus ne répond pas complètement à la question, mais il inverse la perspective : Aime celui qui te sauve et fais comme lui. C’est-à-dire entre dans la dynamique de la miséricorde, entre dans la dynamique de la charité concrètement vécue.

Thérèse dans le manuscrit C, quand elle essaie de méditer sur la charité, dit ceci :

Lorsque le Seigneur avait ordonné à son peuple d’aimer son prochain [12v°]comme soi-même, Il n’était pas encore venu sur la terre ; aussi sachant bien à quel degré l’on aime sa propre personne, Il ne pouvait demander à ses créatures un amour plus grand pour le prochain. Mais lorsque Jésus fit à ses apôtres un commandement nouveau, SON COMMANDEMENT À LUI, comme Il le dit plus loin, ce n’est pas d’aimer le prochain comme soi-même qu’Il parle mais de l’aimer comme Lui, Jésus, l’a aimé, comme Il l’aimera jusqu’à la consommation des siècles…

Ah ! Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d’impossible, vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes sœurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi. C’est parce que vous vouliez m’accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau. – Oh ! que je l’aime puisqu’il me donne l’assurance que votre volonté est d’aimer en moi tous ceux que vous me commandez d’aimer !… (Ms C 12) Oui, nous ne sommes plus seulement devant un commandement qui nous laisse à nos propres forces. Le Seigneur Jésus est venu nous sauver, transformer notre cœur de pierre en cœur de chair par le don de l’Esprit-Saint, et donc nous rendre capables d’aimer comme il nous aime. Souvenez-vous toujours de ce verset de saint Paul dans la Lettre aux Romains chapitre 5 verset 5 : « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » Nous pouvons donc aimer comme Jésus nous a aimés ! Nous pouvons donc accomplir ce double commandement : nous pouvons donc nous faire le prochain de tout homme en souffrance qui croise notre route.

Ce tableau d’Aimé MOROT que je vous ai mis sous les yeux est très troublant, parce que sans doute que ce peintre s’est inspiré de la Pieta de Michel-Ange. Lorsque nous voyons l’homme tombé aux mains des brigands, abandonné au bras du bon Samaritain, nous pensons au Christ à la descente de croix. Or dans la parabole, le bon Samaritain c’est la figure du Christ, et qui est représenté sur ce tableau dans une extrême pauvreté. Et de fait, le Seigneur est à la fois celui qui s’approche de tout homme pour le guérir et le sauver, et le Christ, en même temps, s’identifie à tout homme souffrant : « ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40).

Il ne s’agit pas de se poser la question : qui est mon prochain ? Il s’agit d’entrer dans la dynamique de la miséricorde, dans la dynamique de la charité. Il s’agit de se laisser éblouir et toucher par le fait que « le Christ Jésus m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20), qu’il est venu me ramasser là où j’étais pour me conduire à l’auberge de l’Église et que dans cette auberge, je sois restauré pour pouvoir continuer mon chemin jusque dans le Royaume. Et étant touché par cela, me voici entraîné à faire comme lui : « Va, et toi aussi, fais de même ».

C’est ce que le Seigneur nous invite aujourd’hui à vivre, à entrer dans cette dynamique inépuisable de la charité de Dieu.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire