Dimanche 17 août 2025
20ème dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
Lectures du jour :
1ère lecture : Jérémie 38,4-6.8-10
Psaume : 39 (40), 2, 3, 4, 18
2ème lecture : Hébreux 12,1-4
Évangile : Luc 12,49-53
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« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » Cette parole du Seigneur évoque peut-être l’évènement de la Pentecôte où le don de l’Esprit-Saint sera manifesté par des langues de feu qui viennent ainsi apporter le feu de la charité dans le cœur des disciples, le feu qui illumine l’intelligence pour contempler le mystère de Dieu et l’approfondir tout au long de sa vie. Mais alors pourquoi, si ce feu que Jésus vient allumer est le feu de la charité, pourquoi Jésus dit-il : Je ne suis pas venu mettre la paix sur la terre, mais bien plutôt la division ?
Je ne sais pas s’il vous arrive de fréquenter ce qu’on appelle à tort des réseaux sociaux, c’est impressionnant de voir la quantité de mépris de haine, d’invectives, d’insultes, que l’on peut lire dans les échanges. Cela me fait personnellement prendre conscience que, vraiment, l’homme laissé à lui-même n’aime pas la charité et n’a pas du tout envie de devenir charitable, c’est-à-dire d’aimer comme Dieu aime. Il nous faut une véritable conversion pour oser aimer même celui qui ne m’aime pas, aimer celui qui a des opinions diamétralement opposées aux miennes, aimer celui qui me fait du mal. C’est pour cela que l’auteur de la Lettre aux Hébreux nous invite à fixer les yeux sur Jésus, et pas n’importe comment. Écoutons à nouveau : « Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu ». L’auteur de la Lettre aux Hébreux nous invite à contempler Jésus en croix, car c’est bien là, sur la croix, que Jésus nous manifeste à la fois la profondeur et la conséquence du péché, et aussi la profondeur de l’amour miséricordieux de Dieu
Lorsque nous contemplons Jésus en croix, nous est d’abord manifesté la conséquence de nos péchés : Regarde ce que tu fais, lorsque tu refuses d’aimer : tu conduis ton frère à mourir ; lorsque tu refuses d’aimer, tu crucifies ton frère. Et Jésus, les bras étendus sur la croix, nous dit : Regarde ce que tu fais. Il s’identifie à tout homme blessé par le péché de ses frères : Regarde où cela te mène.
Mais en même temps, nous savons que Jésus, le Fils de Dieu fait homme, est venu pour consentir à cette mort ignominieuse, consentir à recevoir en son humanité la mort de la part de ses frères, pour pouvoir dans sa résurrection, dans sa victoire sur la mort, nous délivrer de nos péchés. Si bien qu’on contemplant Jésus en croix, nous contemplons ce si grand amour dont Dieu a aimé les hommes, a aimé le monde et nous pouvons nous écrier avec sainte Thérèse : Jésus a fait des folies pour nous. (Cf. LT 169)
La croix, donc, manifeste à la fois la gravité du péché mais la profondeur toujours plus grande de la miséricorde de Dieu. Et c’est en contemplant le Christ en croix que nous pouvons alors nous laisser délivrer de nos propres péchés, c’est-à-dire de ce qui nous alourdit, de ce qui nous entrave si bien, comme dit la Lettre aux Hébreux, pour pouvoir courir, courir à la suite du Seigneur. C’est en nous laissant délivrer de notre complicité intérieure avec le péché, avec la mort, que nous pouvons aimer la charité, et que nous pouvons désirer grandir dans la charité, que nous pouvons finalement désirer à notre tour imiter Jésus, qui arrête le mal, non pas avec des lois, avec des décrets ou avec de la violence, mais qui arrête le mal en le prenant sur lui, en en mourant et en recevant la vie plus forte que la mort de l’amour du Père. C’est là un grand mystère que nous n’aurons pas assez de l’éternité pour contempler.
Et Thérèse y est très sensible : sa sœur Céline qui est entrée au Carmel en 1884 sous le nom de sœur Geneviève, après la mort de Thérèse, écrit des souvenirs qu’elle a de son noviciat, elle y évoque Thérèse, bien sûr, elle dit :
Une fois qu’elle tenait en mains les épîtres de saint Paul, elle m’appela et me dit avec enthousiasme : « Écoutez, voici ce que dit l’Apôtre : “Ce n’est point d’une montagne que la main puisse toucher que vous approchez (par l’amour), ni d’un feu ardent, ni d’un tourbillon…mais de la montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant qui est la Jérusalem céleste, des myriades d’anges et de la société de nos aînés… car notre Dieu est un feu consumant.” » [Hébreux 12, 18,22,23,29].
(C’est le dernier verset du chapitre 12 dont nous lisons aujourd’hui le début.)
Et, sœur Geneviève poursuit :
Et reprenant ces dernières paroles, elle me les commenta avec émotion.
(Conseils et souvenirs de Sœur Geneviève)Sainte Thérèse est saisie par ce feu de l’amour de Dieu, par le fait que Dieu “n’est qu’amour” pourrait-on dire, et que cet amour vient embraser nos cœurs. C’est pour cela qu’il nous faut concentrer nos regards sur Jésus, qu’il nous faut contempler Jésus, qu’il nous faut sans cesse revenir à lui et que notre méditation des évangiles doit être incessante. Saint Thérèse d’Avila insistait beaucoup sur la contemplation de l’humanité de Jésus, précisément parce qu’il nous rejoint dans notre humanité. Jésus n’est pas un surhomme, il n’est pas au-dessus de l’humanité, il est dedans. Et lorsque nous contemplons la vie des saints qui ont pris Jésus au sérieux — sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est une parmi de très nombreux — nous voyons bien qu’ils se sont laissé transformer par la charité de Dieu et qu’ils sont entrés eux-mêmes dans ce mouvement de la charité. C’est pour cela que Jésus doit être vraiment celui que nous contemplons, celui sur lequel nos yeux sont fixés.
Thérèse, entrée au Carmel depuis peu, écrit à Sœur Agnès (donc sa sœur Pauline) :
Jésus seul, rien que lui. Le grain de sable est si petit — c’est une image qu’elle utilise avec sa sœur : elle se compare au grain de sable par rapport aux montagnes que sont les saints — le grain de sable est si petit que si il voulait mettre une autre que lui dans son cœur il n’y aurait plus de place pour Jésus… (LT 054 – À sœur Agnès de Jésus – 4 (?) juillet 1888)
L’année suivante, elle écrira :
Dieu est admirable, mais surtout il est aimable, aimons-le donc… aimons-le assez pour souffrir pour lui tout ce qu’il voudra, même les peines de l’âme, les aridités, les angoisses, les froideurs apparentes… ah ! c’est là un grand amour d’aimer Jésus sans sentir la douceur de cet amour... c’est là un martyre… Et bien ! mourons Martyres. Oh ! ma Céline… le doux écho de mon âme, comprends-tu ?… (LT 094 – À Céline – 14 juillet 1889)
Et Thérèse nous pose la même question à nous : comprends-tu ? Qu’aimer Jésus n’est pas en permanence une douceur, qu’aimer Jésus plus que tout, par-dessus tout… — Nous avons demandé dans l’oraison d’ouverture de la messe d’aimer Dieu plus que tout, en toute chose… — aimer Jésus par-dessus tout n’est pas fait d’un amour sensible qui console. À certains moments, cet amour pour Jésus est très aride parce que nous ne le sentons pas, nous ne voyons pas Jésus, nous ne le touchons pas… parfois même sa parole ne nous émeut pas. Mais cela ne nous empêche pas de continuer de l’aimer.
Agneau chéri, écrit, quelques jours après, Thérèse à sœur Agnès, qu’il fait bon travailler pour Jésus seul, pour Lui tout SEUL !…
Et à la fin de sa vie, dans une célèbre lettre à l’abbé Bellière, elle lui écrira :
Je désirerai au Ciel la même chose que sur la terre : Aimer Jésus et le faire aimer.
En venant ici, dans cette basilique, auprès de sainte Thérèse, nous ne venons pas chercher au fond autre chose que l’amour de Jésus, comprendre avec le cœur davantage combien Jésus aime chacun de nous, et combien la joie de notre vie, le sens même de notre vie, c’est en retour d’aimer Jésus et de le faire aimer. Amen.
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire