Dimanche 30 août 2025
22e dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab

Lectures du jour :
1ère lecture : Siracide 3,17-18.20.28-29
Psaume : 67 (68),4-5ac,6-7ab,10-11
2ème lecture : Hébreux 12,18-19.22-24a
Évangile : Luc 14,1.7-14

« Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle ».

Nous ne sommes plus comme Moïse devant la montagne fumante du Sinaï qui effraie le peuple des Hébreux, nous sommes devant un pauvre homme qui n’a pas de pierre où reposer sa tête, qui meurt crucifié entre 2 brigands. C’est vers lui que nous sommes venus. Et c’est celui-là en qui nous mettons notre foi, car nous le reconnaissons comme l’unique Sauveur de toute l’humanité. 

Il est Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du Ciel. Par l’Esprit-Saint il a pris chair de de la Vierge Marie et s’est fait homme. 

Cet abaissement du Fils éternel, de la deuxième personne de la Sainte Trinité, du Verbe de Dieu, cet abaissement nous dit l’amour que Dieu a pour chacun de nous. Et cet abaissement de l’Incarnation fascine sainte Thérèse. Cet abaissement de l’Incarnation va se redoubler dans l’abaissement de la Croix : Il s’humilia plus encore, se faisant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix, écrit saint Paul aux Philippiens (2,8). Et tout cela, il nous y donne accès dans cet abaissement plus étonnant encore, plus bouleversant, qui est l’abaissement de l’Eucharistie : Jésus qui se fait petit morceau de pain, pour que nous puissions recevoir en notre corps sa vie plus forte que la mort. Et c’est parce que Dieu s’abaisse ainsi en son Verbe que nous sommes appelés à suivre ce même chemin pour parvenir à la plénitude de la vie, parce que c’est le chemin que Dieu prend pour nous.

Si un petit oiseau rentre dans cette basilique, il y a beaucoup de risques qu’il ne parvienne pas à sortir, et pourtant il y a des portes que l’on peut laisser ouvertes. Mais l’oiseau va chercher à s’envoler vers le haut, et il va voir la lumière des vitraux en haut. Et il va chercher sans cesse à sortir par le haut… Je ne sais pas si l’oiseau aura l’idée qu’il faut s’abaisser jusqu’au niveau des portes pour pouvoir ensuite s’élancer vers le ciel. Cette image me parle beaucoup pour notre propre vie, car nous aspirons au Ciel, notre patrie. Nous mesurons ici que nous sommes en exil et ce Ciel nous attire en haut et pour monter vers le ciel, pour monter vers Dieu, Jésus nous apprend qu’il nous faut nous abaisser.

Nous vivons parfois la même chose aussi en montagne lorsqu’on vise un sommet et que le chemin commence par descendre, pour aller traverser une rivière et remonter de l’autre côté.

Nous aspirons à de grandes choses, mais cette aspiration doit passer par un abaissement. Le propre de l’amour, dit Thérèse au début du manuscrit A, est de s’abaisser. Et Thérèse va apprendre elle-même à s’abaisser. Des témoignages de ses sœurs après sa mort disent tant aux Buissonnets qu’au Carmel, comment Thérèse aimait s’abaisser, c’est-à-dire prendre la dernière place, être oubliée, pour y rejoindre le Seigneur. 

Cet abaissement que vit Thérèse est éclairé par l’Évangile. Cette dernière place dont parle l’évangile de ce jour, Thérèse la convoite. Elle écrit quelques mois avant sa mort à sa sœur Céline — en religion sœur Geneviève — :

Petite sœur bien-aimée, ne recherchons jamais ce qui paraît grand aux yeux des créatures. […]

La seule chose qui ne soit point enviée c’est la dernière place, il n’y a donc que cette dernière place qui ne soit point vanité et affliction d’esprit…

Cependant […] parfois nous nous surprenons à désirer ce qui brille. Alors rangeons-nous humblement parmi les imparfaits, estimons-nous de petites âmes qu’il faut que le Bon Dieu soutienne à chaque instant. […]

Oui, il suffit de s’humilier, de supporter avec douceur ses imperfections. Voilà la vraie sainteté ! Prenons-nous par la main, petite sœur chérie, et courons à la dernière place… personne ne viendra nous la disputer… (LT 243 – à Sr Geneviève – 7 Juin 1897)

Cette dernière place, c’est presque sur elle que termine le manuscrit C en ce même mois de juin 1897 où Thérèse écrit :

Puisque Jésus est remonté au Ciel, je ne puis le suivre qu’aux traces qu’Il a laissées, mais que ces traces sont lumineuses, qu’elles sont embaumées ! Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le St évangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir… Ce n’est pas à la première place, mais à la dernière que je m’élance. (MsC 36v-37r)Est-ce que c’est juste un calcul ? Car quand on lit l’Évangile, on peut avoir cette impression-là : en fait, si tu veux te retrouver à la première place, choisis la dernière comme cela, on va te faire monter… Oui certes, Thérèse désire le Ciel et, je l’espère, chacun de nous aussi. Mais ce chemin du Ciel, nous ne pouvons le parcourir de nos propres forces. Si nous nous présentons devant Dieu au jugement dernier avec la liste de tout ce que nous avons fait de bien, cela n’est rien devant la justice de Dieu, devant la sainteté de Dieu. Thérèse l’a bien compris : elle se présente devant Dieu les mains vides. Ce qu’elle comprend, c’est que c’est Jésus qui nous conduit à la première place, et que Jésus, nous le trouvons à la dernière place. C’est le serviteur du lavement des pieds. Aller à la dernière place pour trouver Jésus et que Jésus nous conduise… C’est toute la petite voie de Thérèse : se laisser conduire complètement par Jésus. Vous connaissez sans doute l’histoire de l’ascenseur que cherche Thérèse pour aller au ciel et elle s’écrie : l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras au Jésus. (MsC 3r)

Et c’est pour cela que Thérèse va pouvoir dire :

J’ai pris place dans les bras de Jésus. (MsC 23r)

Voilà sa place dans l’Église. 

Dans l’événement du 8 septembre 1896, lorsqu’elle fait cette retraite pour l’anniversaire de sa profession et qu’elle écrit une grande prière à Jésus, au cœur de cette prière, elle s’écrie :

Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’AMOUR… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé !… (MsB 3v)

Cette place, ce n’est pas de faire quelque chose, c’est d’être l’amour ; c’est-à-dire de laisser la sainteté de Dieu nous traverser, rayonner de nous, car la sainteté n’est rien d’autre que l’amour accompli. 

Thérèse doit s’occuper des novices, mais elle a du discernement. Elle dit :

Avec certaines âmes, je sens qu’il faut se faire petite, ne point craindre de m’humilier en avouant mes combats, mes défaites ; voyant que j’ai les mêmes faiblesses qu’elles, mes petites sœurs m’avouent à leur tour les fautes qu’elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience. Avec d’autres j’ai vu qu’il faut au contraire pour leur faire du bien, avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S’abaisser ne fait point alors de l’humilité, mais de la faiblesse. (MsC 23v)

Thérèse a un sens très fin des choses spirituelles et elle comprend que s’abaisser comme le Seigneur, prendre la dernière place, ne consiste pas à ne plus avoir de consistance et ne plus exercer ses responsabilités. Quand il y a besoin d’être ferme, Thérèse sait l’être, mais toujours à sa place. Et cette place, elle le dit dans le même passage :

Ce qui me coûte par-dessus tout, c’est d’observer les fautes, les plus légères imperfections et de leur livrer une guerre à mort. […] depuis que j’ai pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant l’ennemi de la plus haute tourelle d’un château fort. Rien n’échappe à mes regards ; souvent je suis étonnée d’y voir si clair. (MsC 23r)Depuis que j’ai pris place dans les bras de Jésus… La dernière place, elle est dans les bras de Jésus. ; ce n’est pas de s’autoflageller en disant : « Je ne suis rien, je ne vaux rien » ; ce n’est pas cela la dernière place. C’est, au fond, de vivre sous le seul regard de Dieu notre Père, comme Jésus nous y encourage au chapitre 6 de saint Matthieu : Quand tu pries, ne te donne pas en spectacle, ton Père voit ce que tu fais dans le secret ; quand tu jeûnes ne te donne pas en spectacle, ton Père voit […] ; quand tu fais l’aumône ne te donne pas en spectacle, ton Père voit […]. 

Vivre sous ce seul regard du Père.

Enfin, l’Évangile se termine sur cette question des invitations à déjeuner ou à dîner : n’invite pas tes amis ni tes frères et cætera. Au contraire quand tu donnes une réception, invite des pauvres des estropiés. Nous sommes tous un peu gênés par cet Évangile : que dois-je faire ? Comment m’y prendre ? Thérèse interprète cet Évangile d’une manière qui nous permet à tous d’avancer dans le sens où le Seigneur nous appelle. C’est aussi dans le manuscrit C :

Je veux être aimable avec tout le monde — Une décision : je veux, je veux être aimable avec tout le monde — (et particulièrement avec les sœurs les moins aimables) pour réjouir Jésus et répondre au conseil qu’Il donne dans l’évangile à peu près en ces termes : — « Quand vous faites un festin n’invitez pas vos parents et vos amis de peur qu’ils ne vous invitent à leur tour et qu’ainsi vous ayez reçu votre récompense ; mais invitez les pauvres, les boiteux, les paralytiques et vous serez heureux de ce qu’ils ne pourront vous rendre, car votre Père qui voit dans le secret vous en récompensera. » (MsC 28v)

Comment Thérèse comprend-elle cet évangile au quotidien ? Au Carmel, elle ne risque pas d’aller inviter des gens qui sont à Lisieux. 

Je veux être aimable avec tout le monde et particulièrement avec les sœurs les moins aimables pour réjouir Jésus et répondre aux conseils qu’il donne dans l’évangile…

Aller à la dernière place pour y trouver les bras de Jésus qui nous feront monter au ciel. 

Vivre au quotidien cet abaissement dans l’amour décidé de toutes les personnes que je rencontre. 

Tout cela pourrait se résumer dans cette dernière lettre de Thérèse qui est une image qu’elle envoie à l’abbé Bellière :

Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit… je l’aime !… car Il n’est qu’amour et miséricorde !

Amen