Je salue les nombreux pèlerins, ainsi que le Père Emmanuel Schwab, recteur de ce sanctuaire, qui m’a invité à célébrer avec vous la fête de l’Assomption.
Marie est montée au ciel avec son corps et son âme : même pour le corps, il y a une place en Dieu. C’est une consolation et un encouragement à la résilience, à l’espérance et à positiver, surtout pour les personnes malades, en situation de fragilité et les personnes âgées, particulièrement inquiètes en raison de la culture de mort qui semble prévaloir dans le discours public et dans les priorités législatives.
Marie est montée au ciel, exaltée par Dieu comme une femme à succès. Les lectures bibliques nous ont parlé d’une femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Et encore : désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles.
Marie de Nazareth n’est pas une femme à succès, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Elle n’est pas la statue avec une belle couronne sur la tête. Mais c’est une femme qui a eu une vie intense, remplie de joie et de souffrance ; une femme qui, à l’école de la parole de Dieu et en présence de Jésus, a muri une humanité profonde, sereine, accueillante, sage.
La fête de l’Assomption de la Vierge Marie au ciel prend une signification particulière dans le cadre du centenaire de la canonisation de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Centenaire qui est célébré dans le monde entier, et avec une importance particulière ici à Lisieux. En fait, par une image qui lui est chère, Sainte Thérèse nous aide à comprendre le sens profond de la fête d’aujourd’hui.
Dans son témoignage spirituel, recueilli dans le livre posthume Histoire d’une âme, adressé à sa Supérieure religieuse, Mère Marie de Gonzague, elle écrit : « Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré être une sainte, mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé aux pieds des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection » [ Ms C 2 ].
Thérèse avait bien compris qu’elle ne parviendrait jamais à gravir toutes les marches de la vertu et de la sainteté à l’aide de ses seules forces. Elle a trouvé dans la modernité de son temps ce fameux ascenseur dont elle a cherché la correspondance dans la vie spirituelle et qui lui économiserait l’effort de gravir tous les degrés qui conduisent à la sainteté. Cet ascenseur, ce furent les bras de Jésus dans lesquelles elle choisit de s’abandonner.
Cette image de l’ascenseur est belle et instructive, surtout quand nous contemplons l’Assomption de Marie au ciel. Marie, mère de Jésus, avant même sainte Thérèse, avait parcouru la petite voie. Nous pouvons l’affirmer de manière qui peut sembler banale, mais ce n’est pas banal : Marie a eu confiance en Dieu.
Dès le début de la création, le livre de la Genèse nous dit que le diable a cherché à semer le doute parmi les hommes : le doute que Dieu soit à nos côtés, que Dieu prenne soin de l’homme. Il a même présenté Dieu comme un rival de l’homme, jaloux de la liberté de l’homme, envieux de la puissance de l’homme, au point de forcer l’humanité à affronter quotidiennement le mal, la souffrance gratuite, toutes sortes de limites.
Toute la littérature grecque antique est parcourue par ce doute, cette suspicion. Dieu est jaloux de l’homme, il le punit constamment. Alors, il faut se défendre. Et voilà que naît une religiosité faite de pratiques et de lois à respecter pour contenir le mal envoyé par Dieu et négocier une trêve avec Dieu. C’est ainsi qu’apparaît la superstition qui se développe chez beaucoup de personnes et qui est si répandue aujourd’hui, même parmi ceux qui se disent chrétiens.
La grandeur de Marie, mère de Jésus, a été d’avoir brisé ce doute, à savoir que Dieu est l’ennemi de l’homme, et d’avoir mis au contraire toute sa confiance en Dieu qui est sauveur : ce que nous lisons dans l’hymne du Magnificat, surgi du cœur de Marie quand elle rencontre sa cousine Elisabeth.
Ne nous y trompons pas, il n’est pas si facile de faire cela car il n’est pas de plus grand effort dans une vie que de renoncer à se sauver soi-même pour se laisser sauver par un Autre. En ce sens-là, Marie la mère de Jésus et Thérèse nous conduisent à sortir de nous-mêmes pour nous en remettre au Fils de Dieu.
Faire de l’enfance le chemin pour parvenir à la sainteté, comme l’a fait sainte Thérèse, ne se traduit pas par des diminutifs, des petits parterres de fleurs colorées, des pétales de roses : c’est plutôt mettre au centre le besoin, la soif d’amour, les bras tendus vers le haut dans l’attente que quelqu’un vous soulève.
Une voie vers la sainteté qui est aussi pour chacun de nous et en même temps une leçon formidable pour notre temps. À ceux qui croient qu’il faut tout contrôler jusqu’à l’ultime instant de leur existence, la Vierge Marie et Sainte Thérèse de Lisieux leur proposent une voie toute autre. A une époque où les hommes semblent redoubler d’orgueil dans leur volonté à maîtriser la vie et la mort, Marie montée au ciel et sainte Thérèse nous indiquent la petite voie.
Voie petite mais efficace et sûre en ce qu’elle nous amène à partager la même force et vitalité que Dieu notre Père, qui veut que nous devenions forts de sa force.
+ Celestino Migliore
Nonce Apostolique