Dimanche 16 novembre 2025
33ème dimanche Pendant l’Année – Année C

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Malachie 3,19-20a
Psaume : 97 (98),5-6,7-8,9
2ème lecture : 2 Thessaloniciens 3,7-12
Évangile : Luc 21,5-19

Depuis le chapitre 3 du livre de la Genèse, le monde va mal. Et depuis le chapitre 4, il va très mal, puisque Caïn a tué son frère Abel… Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il y a de la violence, qu’il y a des meurtres, des guerres, des jalousies et des dissensions. Fallait-il que la situation soit grave aux yeux de Dieu, pour qu’il faille la mort du Bien-aimé sur la croix ! Ce dont nous sommes témoins, nous, c’est ce que Jésus dit à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde — ce monde dans lequel nous vivons — qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle (Jn 3,16). Dieu a tant aimé le monde…

Nous sommes témoins de cela.

Depuis que le péché est entré dans le monde, notre monde est le lieu d’une formidable bataille, d’un formidable combat. L’ennemi, le satan — qui veut dire l’adversaire —, le diable — qui veut dire le diviseur —, le grappin comme aimait l’appeler le Saint Curé d’Ars, travaille avec acharnement pour tout arracher de la main de Dieu. Nous sommes au milieu d’un combat formidable qui nous dépasse, qui traverse le monde, qui traverse notre société, qui traverse notre propre cœur. Témoins du Christ mort et ressuscité, nous sommes appelés à faire le choix de marcher avec Jésus, le Sauveur, et de travailler avec Lui dans ce combat formidable, d’agir par Lui, avec Lui et en Lui, pour qu’en ce monde il puisse par nous, avec nous et en nous, faire advenir la victoire du Royaume. 

Nous sommes témoins de sa venue il y a quelques 2000 ans. Nous sommes témoins qu’il ne cesse de se rendre présent à son Église et nous attendons sa venue dans la gloire — nous le proclamerons à nouveau tout à l’heure dans le Credo. Et que faisons-nous là ce matin ? Précisément, nous sommes là parce que nous attendons sa venue dans la gloire. Je vous redis ce passage de la troisième prière eucharistique, juste après la consécration :

En faisant ainsi mémoire de ton Fils, 
de sa Passion qui nous sauve, 
de sa glorieuse résurrection
et de son ascension dans le Ciel
(en faisant mémoire de tout le mystère pascal)
alors que nous attendons son dernier avènement,
nous t’offrons, Seigneur, en action de grâces,
ce sacrifice vivant et saint.

Nous célébrons l’Eucharistie dans l’attente de la venue en gloire, ce qu’on appelle la Parousie, et en même temps, en célébrant l’Eucharistie, c’est une mystérieuse venue du Seigneur qui se rend présent au milieu de nous. 

Sainte Thérèse, lorsqu’elle rappelle sa première communion, dit qu’en recevant l’Eucharistie, c’est toute la joie du Ciel qui venait dans son cœur, et elle le dit d’une formule qui est générale :

Le Ciel n’était-il pas dans mon âme ? 

Oui, par la célébration de l’Eucharistie, c’est déjà tout le Royaume qui est présent. 

Et dans l’attente de cette venue, par la foi, et non pas dans la claire vision, nous cherchons à marcher avec Jésus. Dans ce qu’on appelle l’embolisme du Notre Père, c’est-à-dire le déploiement, le développement de la dernière phrase du Notre Père, « délivre-nous du mal », la nouvelle traduction du Missel dit :

Délivre-nous de tout mal, Seigneur,
et donne la paix à notre temps :
soutenus par ta miséricorde,
nous serons libérés de tout péché,
à l’abri de toute épreuve,
nous qui attendons que se réalise
cette bienheureuse espérance :
l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur.

Quand ? Lorsque nous serons dans le Royaume. Ce développement de la dernière demande du Notre Père est elle aussi un regard sur la fin des temps, sur la venue du Christ en gloire. Nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur. Nous savons qu’alors nous serons libérés de tout péché et à l’abri de toute épreuve. Mais jusque-là, nous sommes dans le combat pour choisir le bien, l’amour, et renoncer au péché, à la haine, par la grâce de Christ. 

La vie du chrétien est vraiment un travail, parce que rien ne se fera sans notre concours. En même temps, c’est le Seigneur Jésus qui remporte la victoire, mais il ne veut pas la remporter sans nous. Je cite régulièrement cette lettre de Thérèse à Céline, la lettre 135, où Thérèse a cette parole étonnante :

Ah ! c’est que Jésus a pour nous un amour si incompréhensible qu’Il veut que nous ayons part avec lui au salut des âmes. Il ne veut rien faire sans nous. (LT 135 à Céline – 15 août 1892) Ne me répondez pas comme quelqu’un m’a répondu une fois : « je ne comprends pas »… parce que précisément, Thérèse dit : un amour si “incompréhensible”.

Le Seigneur ne veut pas que nous soyons seulement les débiteurs du Royaume, que nous soyons seulement à recevoir une grâce imméritée. Il veut aussi que nous en devenions nous-mêmes acteurs par Lui, avec Lui et en Lui. 

Notre monde est violent, notre monde est douloureux. Nous venons de commémorer les dix ans de l’attaque du Bataclan qui a été très marquante et très traumatisante. Mais nous avons tous en tête des lieux de guerre en ce moment. Les journaux nous parlent beaucoup bien sûr de l’Ukraine et du Proche-Orient, mais il faudrait parler du Nigeria, il faudrait parler du Mali, il faudrait parler du Soudan, il faudrait parler d’Haïti et de bien d’autres lieux encore. Et puis nous ne pouvons pas ouvrir le journal chaque jour sans apprendre que quelqu’un, souvent un jeune, est mort de mort violente dans la rue. Comment nous tenir dans ce monde douloureux en témoin du Christ vainqueur, et en témoin du Christ vainqueur par l’amour ? Ce n’est pas l’intensité des souffrances du Christ dans sa Passion qui nous sauve, c’est son amour indéfectible pour le Père et pour nous les hommes. C’est son amour qui nous sauve, c’est sa pleine communion avec le Père. Et cet amour pour les pécheurs, nécessairement fait souffrir. Ce sont parfois des souffrances toutes simples. Mais quand quelqu’un m’exaspère et que je reste doux et patient, c’est une souffrance. Lorsque quelqu’un me demande un service alors que je suis fatigué, et que, quand même, je vais lui rendre, c’est une souffrance. L’amour fait souffrir. 

Au Ciel, ce ne sera plus que jouissance, mais sur cette terre, l’amour fait souffrir si vraiment je cherche à aimer l’autre et non pas à m’aimer moi-même dans les sentiments que j’éprouve, car l’amour se met dans les actes, il se manifeste dans le service concret du prochain. C’est cela à quoi nous sommes appelés. C’est cela que le Seigneur attend de nous. 

Paul nous invite à travailler : travailler pour gagner notre vie, mais l’on pourrait dire aussi travailler pour le Seigneur Jésus, travailler avec le Seigneur Jésus. Comprendre que toute son œuvre, c’est le salut de ce monde, et que chacun de nous, là où nous sommes, nous sommes appelés à être témoins de ce Salut et acteurs de ce Salut. Comment ? Par la charité, par l’amour concrètement vécu. Rien d’autre, frères et sœurs, ne sauvera le monde. 

Le Seigneur nous prévient : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche” ». Lorsque nous sommes dans des temps difficiles, nous pouvons connaître la tentation d’aller chercher des solutions qui nous paraissent plus abordables, qui nous paraissent amener un Salut au moins à court terme. Il n’y a d’autre Sauveur que le Seigneur Jésus. « Sous le ciel, aucun autre nom [que celui de Jésus] n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » enseigne saint Pierre dans les Actes des Apôtres (4,12). 

Alors en célébrant cette Eucharistie, renouvelons notre foi dans le Seigneur Jésus, notre amour pour le Seigneur Jésus. Restons attachés à lui et demandons-lui la grâce de vraiment le servir.

Thérèse garde toute sa vie les yeux fixés sur le Ciel. Elle a cette grâce d’être très tôt dans son existence fascinée par le “beau Ciel”, par la “Patrie”, par ce Royaume vers lequel nous marchons. Et il faudra qu’elle traverse les 18 derniers mois de sa vie cette épreuve de ne plus voir par le cœur, de ne plus voir ce Ciel, mais cependant de rester attachée au Seigneur Jésus. 

Et peu de temps avant sa mort, puisque c’est en avril 1897, elle écrit à l’abbé Bellière :

Lorsque je commençais à apprendre l’histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d’Arc me ravissait, je sentais en mon cœur le désir et le courage de l’imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses. Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du Ciel m’invitant au combat, j’entendis au fond de mon âme une voix plus douce, plus forte encore, celle de l’Epoux des vierges qui m’appelait à d’autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses, et dans la solitude du Carmel j’ai compris que ma mission n’était pas de faire couronner un roi mortel mais de faire aimer le Roi du Ciel, de lui soumettre le royaume des cœurs. (LT 224 du 25 avril 1897, à l’abbé Bellière)

Eh bien, puissions-nous, auprès de sainte Thérèse, éprouver ce même désir de faire aimer le Roi du Ciel et d’aider nos frères et sœurs qui l’ont oublié ou qui ne le connaissent pas, de les aider à le découvrir, à l’aimer à leur tour, et à le suivre jusqu’en son Royaume.

Amen