Dimanche 9 novembre 2025
Dédicace de la Basilique du Latran – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Ézékiel 47,1-2.8-9.12
Psaume : 45 (46), 2-3,5-6,8-9a.10a
2ème lecture : 1 Corinthiens 3,9c-11.16-17
Évangile : Jean 2,13-22
Les lectures de ce jour peuvent nous servir de guide pour distinguer trois phases, ou trois moments, ou trois aspects peut-être — parce qu’ils ne sont pas successifs mais souvent concomitants — de la vie chrétienne : celui de la conversion, celui de l’édification et celui de la fécondité.
La conversion, c’est ce qu’aborde l’Évangile de Jean, où Jésus vient purifier le Temple. Ce n’est pas un coup de colère soudain de Jésus, c’est une action parfaitement programmée, décidée, paisiblement. On nous dit qu’il se fait un fouet avec des cordes… il prend le temps de fabriquer son fouet, tranquillement, avant de passer à l’action. Et puis, il va chasser du temple, les vendeurs ainsi que les brebis, les bœufs, etc. Il faut bien comprendre la topographie des lieux. Quand on parle là de Temple, on parle de tout l’ensemble de l’espace sacré qui est une immense plateforme entourée de colonnades. On y rentre par le sud et on arrive sur un grand parvis. Il y a au sud de ce grand parvis, la basilique où doivent se tenir les changeurs de monnaie, les vendeurs de bœufs et de brebis, parce que quand un juif vient à Jérusalem offrir un sacrifice, il n’est pas forcément parti de chez lui. Imaginez les apôtres qui viennent offrir un sacrifice en partant de Capharnaüm : ils ne partent pas avec leur taureau, ils vont pouvoir l’acheter sur place, il est donc nécessaire qu’on puisse acheter de quoi offrir le sacrifice sur place. Mais ces vendeurs ne restent pas dans la basilique, ils envahissent le parvis. Or ce parvis est le parvis des païens. Et au milieu de ce très grand parvis, se troue l’espace réservé aux fils d’Israël ; dans cet espace, une seconde enceinte, et à l’intérieur de cette seconde enceinte, le sanctuaire qui est finalement un petit bâtiment. C’est là que brûle le chandelier qui brûle devant… plus rien à l’époque de Jésus. Du temps de Salomon, il y avait dans le Saint des Saints l’Arche d’Alliance qui contenait les tables de la Loi et une mesure de la manne du désert et le rameau d’Aaron. Jésus fait donc place nette du parvis des païens, comme un signe prophétique que les païens sont appelés à entrer dans l’alliance de Dieu avec son peuple. Ce n’est pas un coup de colère, c’est un acte prophétique que pose Jésus, qui vient remettre les choses en l’état.
C’est Jésus qui en a l’initiative.
Si nous pensons à notre propre conversion, ce que nous voyons être accompli par Jésus dans le Temple de Jérusalem, c’est cela qu’il veut aussi accomplir dans nos propres vies. Ce ne sont pas les marchands qui tout à coup se disent : « Tiens, nous avons pris trop de place, nous allons ranger nos tables », c’est Jésus qui le fait. De même pour notre conversion, elle n’est pas d’abord le résultat de nos efforts, mais d’abord le travail du Seigneur qui nous semble à certains moments aussi violent que ce que Jésus fait avec les vendeurs du Temple… Parce que notre conversion nécessite que nous renoncions à un certain nombre de choses, un certain nombre d’attitudes, un certain nombre d’aspect de notre vie pour pouvoir nous ouvrir à la grâce de Dieu, pour pouvoir nous laisser transformer par la grâce de Dieu. Les auteurs spirituels sont nombreux à voir à travers les événements de notre existence, tous les événements de notre existence, la manière dont le Seigneur travaille dans nos vies pour notre conversion. On pourrait dire que tout ce qui nous arrive par la grâce de Dieu nous est donné pour notre conversion. Nous pouvons, de tout ce qui nous arrive, laisser le Seigneur en tirer du fruit pour notre conversion, encore faut-il que nous consentions à voir, à travers ces événements, l’action du Seigneur. L’Évangile nous apprend à voir, dans cette action de Jésus au Temple, l’action de Dieu. Mais les apôtres ne comprennent pas sur le moment. C’est à la résurrection qu’ils comprendront ce qui s’est passé là.
Le Seigneur veut faire de nous son Temple. C’est pour cela qu’il nous corrige. C’est pour cela qu’il travaille à notre conversion. Saint Paul insistera dans la première Lettre aux Corinthiens, notamment, pour nous dire : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3,16). C’est le même mot “naon” en grec, “sanctuaire”, que celui qui désigne le Saint des Saints, ce lieu où réside Dieu dans le Temple de Jérusalem. Et un peu plus loin, dans la même Lettre aux Corinthiens, il nous dit : « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, car vous avez été achetés à grand prix. Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps » (1 Co 6,19-20). À travers les événements de notre vie, le Seigneur vient en nous chasser les vendeurs du Temple : il nous faut apprendre à y consentir.
Si nous y consentons, nous pouvons alors travailler à l’édification de notre être, de notre être chrétien, de notre être d’enfant de Dieu. Paul parle de construction dans cette lettre aux Corinthiens : « vous êtes une maison que Dieu construit » (1 Co 3,9). Il ne parle pas de chacun seulement, il parle aussi de l’Église tout entière, Temple de Dieu, Édifice spirituel. « Vous êtes une maison que Dieu construit. Selon la grâce que Dieu m’a donnée, moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus. Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction. La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ ». Comment construisons-nous notre vie sur Jésus Christ ?
Vous savez qu’à plusieurs reprises, Thérèse a cette expression : Aimer Jésus et le faire aimer, Voilà mon plus grand désir, aimer Jésus et le faire aimer. (Cf. LT 201 au P. Roulland. Et ce désir qui habite le cœur de Thérèse doit habiter le nôtre aussi. Le cœur de la vie chrétienne, c’est notre relation à Jésus. Il n’y a qu’un seul Sauveur, Jésus le Christ. Nos efforts ne nous sauveront pas… Il s’agit d’être sauvé, comme Jésus. Vous vous souvenez, lorsque Jésus est en croix, un des grands prêtres dit : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut même pas se sauver lui-même » (Mt 27,42). Eh bien non, cher grand prêtre, Jésus ne peut pas se sauver lui-même parce qu’il vient précisément pour être sauvé dans notre humanité. Et c’est le Père qui le sauve de la mort. C’est cela que Jésus vient vivre et c’est cela dans lequel il nous fait entrer : apprendre à nous laisser sauver par l’amour miséricordieux de Dieu. Et pour apprendre à nous laisser sauver, il nous faut mettre Jésus au centre, car c’est lui qui est à la fois, on pourrait dire, le premier des sauvés et le Sauveur… parce qu’il s’est laissé sauver. Comment construisons-nous notre vie sur Jésus ? Comment tout au long de notre journée cherchons-nous à vivre un dialogue avec Jésus ? Comment lui demandons-nous conseil concrètement, dans le courant de notre existence ? Comment est-il notre premier, notre seul ami, comme l’appelle Thérèse dans un passage des manuscrits (Cf. MsB ’4v) ?
Conversion et édification, enfin fécondité.
Nous avons cette grande vision d’Ézéchiel de l’eau qui coule du côté droit du Temple et qui va couler jusqu’à atteindre la mer morte et assainir les eaux de la Mer Morte. Cette eau qui coule du côté droit du Temple ne peut pas ne pas nous évoquer l’eau et le sang qui coulent du côté droit du Seigneur Jésus sur la croix. Cette eau vive dont Jésus parlera dans ce même Évangile de saint Jean, lorsqu’à la fête de la dédicace du Temple, il se tiendra debout dans le Temple et qu’il s’écriera :
« “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi !”. Comme dit l’Écriture : “De son cœur couleront des fleuves d’eau vive”. En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » (Jn 7,37-38).
L’Esprit Saint qui coule du côté de Jésus et qui donne la vie partout où la mort a fait son œuvre.
Je relis la même parole de Jésus en mettant la ponctuation autrement. Écoutez bien :
« Jésus, debout, s’écria : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, comme dit l’Écriture, de son cœur couleront des fleuves d’eau vive.” En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. »
Je n’ai pas changé l’ordre des mots : j’ai mis la ponctuation autrement. Et si vous avez bien écouté, vous avez entendu que maintenant l’eau vive coule du cœur du croyant. Il ne faut pas choisir une des deux versions — même si, en imprimant le livre, nous sommes obligés de choisir —, parce que Jésus nous donne de participer à son être. Nous sommes, par le baptême, membres du Corps du Christ. Et si de son corps jaillit l’eau vive, alors cette eau vive doit aussi jaillir de notre corps, puisque nous sommes membres de son Corps ! Si nous nous laissons convertir par le Seigneur, si nous acceptons qu’il prenne son fouet à certains moments, pour chasser les vendeurs du Temple qui empêchent en notre cœur le vrai culte de se dérouler, c’est-à-dire la louange, l’adoration qui débouchent sur la charité concrète pour le prochain, si nous acceptons que le Seigneur nous transforme ainsi, si par Lui, avec Lui et en Lui, nous construisons notre vie, alors de notre cœur aussi l’Esprit Saint jaillira parce que Jésus sera réellement présent en nous et qu’il fera jaillir son Esprit Saint par notre cœur, et nos vies seront fécondes.
Et c’est cela qui évangélisera le monde car l’Esprit Saint qui sort de notre cœur n’est rien d’autre que la charité concrètement vécue. Tout cela est sans cesse nourri par l’Eucharistie.
Je termine avec deux citations de Thérèse dans le Manuscrit A. Elle dit à un moment à propos de Jésus présent au tabernacle dans le Saint-Sacrement :
Ce n’est pas pour rester dans le ciboire d’or [que Jésus] descend chaque jour du Ciel, c’est afin de trouver un autre Ciel qui lui est infiniment plus cher que le premier : le Ciel de notre âme, faite à son image, le temple vivant de l’adorable Trinité !… (Ms A Folio 48v°)
Mon frère, ma sœur, tu es un Temple vivant de l’adorable Trinité !
Et puis, lorsqu’elle raconte son voyage en Italie, à propos de Notre-Dame de Lorette où il y aurait la maison de la Vierge où aurait vécu Jésus, elle dit :
Que ces souvenirs sont ravissants !… [60v] Mais notre plus grande consolation fut de recevoir Jésus Lui-même dans sa maison et d’être son temple vivant au lieu même qu’il avait honoré de sa présence. (Ms A Folio 60)
Oui, frères et sœurs, en célébrant la dédicace de la basilique du Saint Sauveur du Latran, renouvelons la conscience que l’Esprit Saint suscite en nous, que nous sommes réellement enfants de Dieu, habités par l’Esprit Saint, que le Seigneur a fait de nous le Temple de l’adorable Trinité et qu’il veut que de nos cœurs jaillisse l’eau vive de l’amour miséricordieux de Dieu pour que le monde soit sauvé.
Amen
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