Samedi 1er novembre 2025
Fête de tous les Saints – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Apocalypse 7,2-4.9-14
Psaume : 23 (24),1-2, 3-4ab,5-6
2ème lecture : 1 Jean 3,1-3
Évangile : Matthieu 5,1-12a
C’est l’histoire d’un petit garçon qui va chaque jour à l’école et sur le chemin de l’école il passe devant l’atelier d’un sculpteur. L’atelier est ouvert sur la rue, et tous les jours en allant à l’école et en revenant de l’école, le petit garçon s’arrête et regarde le sculpteur travailler : le sculpteur est devant un très gros bloc de pierre. Et chaque jour, le petit garçon regarde, de plus en plus intrigué. Au fond de son cœur, il a très envie de poser une question au sculpteur, mais il n’ose pas… Et puis un jour, il se décide :
— Je peux te poser une question ? — Oui, lui dit le sculpteur… — Comment tu savais qu’il y a un cheval dans la pierre…?
Lorsque j’ai entendu cette histoire il y a longtemps, j’ai tout de suite pensé à une autre question : Dis Seigneur, comment tu savais qu’il y avait un saint dans ce pécheur ? Et depuis longtemps, cette petite histoire me fait réfléchir sur la sainteté.
Il y a quelques années, Padre Pio a été canonisé ; il est entré dans le calendrier général de l’Église et nous avons, le 23 septembre, la mémoire de Saint Pio de Pietrelcina. À l’Office des Lectures, on lit un extrait d’une lettre de Saint Pio de Pietrelcina à une religieuse et il lui écrit ceci :
C’est par les coups répétés d’un burin salutaire et un nettoyage soigneux que l’Artiste divin veut préparer les pierres avec lesquelles se construit l’édifice éternel. […]
Un maçon qui veut bâtir une maison doit, avant tout, bien nettoyer les pierres qu’il veut utiliser pour la construction. Ce qu’il obtient à coups de marteau et de burin. Le Père céleste se comporte de la même manière avec les âmes choisies […].
L’âme destinée à régner avec Jésus Christ dans la gloire éternelle doit donc être nettoyée à coups de marteau et de burin, dont se sert l’Artiste divin pour préparer les pierres, c’est-à-dire les âmes choisies. Mais que sont ces coups de marteau et de burin ? Ma sœur, ce sont les ombres, les craintes, les tentations, les afflictions de l’esprit et les troubles spirituels, avec un parfum de désolation, et aussi le malaise physique.
Dès lors, remerciez l’infinie bonté du Père éternel qui traite votre âme de cette façon, parce qu’elle est destinée au salut.
De même que le sculpteur fait apparaître le cheval dans la pierre en dépouillant la pierre de ce qui est inutile, de même, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus va grandir par le dépouillement :
Dépouillement de sa maman quand elle a quatre ans et demi avec la mort de Zélie ;
dépouillement de sa seconde maman Pauline qui rentre au Carmel par surprise, concernant la date, pour Thérèse ;
dépouillement de sa santé avec cette maladie étrange dont on a peur qu’elle meure à l’âge de dix ans et dont elle sera miraculeusement guérie par la Vierge Marie ;
dépouillement de sa manière de vivre l’enfance et dépouillement de son refuge dans les larmes à la complète conversion de Noël 86, dans l’escalier des Buissonnets ;
dépouillement de son entêtement à vouloir entrer au Carmel pour Noël 87. Elle n’entrera qu’en avril 88 ;
dépouillement progressif de sa compréhension de la sainteté à la force du poignet pour accueillir une grâce à vivre ;
dépouillement de sa santé de manière plus définitive avec la première hémoptysie, la nuit du jeudi au vendredi saint de l’année 1896 ;
dépouillement quelques jours plus tard de sa joie de contempler le beau Ciel de notre Patrie vers lequel elle marche, en entrant dans les plus épaisses ténèbres…
Mais j’aurais pu parler aussi du dépouillement de la tranquille vie bourgeoise vécue aux Buissonnets quand elle entre dans les austérités du Carmel, le dépouillement de sa liberté d’action en entrant dans l’obéissance religieuse…
C’est de dépouillement en dépouillement que Dieu conduit Thérèse. Et ce n’est pas une idée saugrenue de remarquer cela, parce que Thérèse elle-même le dit. Dans une lettre du 13 août 1893 à sa sœur Céline, sa grande confidente, Thérèse commence par un exemple. Elle s’arrête sur un fruit, la pêche, et elle dit à Céline :Voici une belle pêche, rosée et si sucrée que tous les confiseurs ne sauraient imaginer une si douce saveur. Dis-moi, ma Céline, est-ce pour la pêche que le bon Dieu a créé cette jolie couleur rose si veloutée et si agréable à voir et à toucher ? Est-ce encore pour elle qu’Il a dépensé tant de sucre ?… mais non, c’est pour nous et non pas pour elle. Ce qui lui appartient, ce qui fait l’essence de sa vie c’est son noyau, nous pouvons lui enlever toute sa beauté sans lui enlever son être. — Méditez bien là-dessus l’été prochain quand vous mangerez une pêche : ce qu’elle dit là est absolument remarquable — Ainsi Jésus se plaît à prodiguer ses dons à quelques-unes de ses créatures, mais bien souvent c’est pour s’attirer d’autres cœurs, et puis quand son but est atteint, il fait disparaître ces dons extérieurs, il dépouille complètement les âmes qui Lui sont les plus chères. En se voyant dans une si grande pauvreté ces pauvres petites âmes ont peur, il leur semble qu’elles ne sont bonnes à rien puisqu’elles reçoivent tout des autres et ne peuvent rien donner, il n’en est pas ainsi, l’essence de leur être travaille en secret, Jésus forme en elles le germe qui doit se développer là-haut dans les célestes jardins des Cieux. Il se plaît à leur montrer leur néant et sa puissance, Il se sert pour arriver à elles des instruments les plus vils afin de leur montrer que c’est bien Lui seul qui travaille. Il se hâte de perfectionner son œuvre pour le jour où, les ombres s’étant évanouies, Il ne se servira plus d’intermédiaires, mais d’un Face à Face éternel !… (LT 147 du 13 Août 1893, à Céline)
Nous comprenons donc comment Thérèse pourra écrire à Léonie quatre ans plus tard :
L’unique bonheur sur la terre c’est de s’appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne. (LT 257 du 17 juillet 97 à Léonie)
Se laissant progressivement dépouiller de tout, Thérèse va laisser de plus en plus le Seigneur agir dans sa vie. En faisant une recherche sur la chaîne de caractère « dépouille » dans l’ensemble des œuvres de Thérèse, j’ai vu qu’il y avait cinq occurrences, celles que je vous ai lus là : « il dépouille complètement les âmes qui lui sont les plus chères ». Mais les quatre autres occurrences, c’est pour parler de la « dépouille mortelle » de Zélie ou d’elle-même quand elle mourra. Au bout de notre vie, ou plutôt au bout de notre pèlerinage sur la terre, il nous faudra bien nous laisser dépouiller complètement : nous laisserons sur cette terre notre dépouille mortelle, nous la laisserons à la charité de notre entourage pour qu’il la dépose au tombeau comme Jésus a été déposé au tombeau et non pas pour qu’il la brûle — car le chrétien imite le Seigneur jusque dans la mise au tombeau, dans l’attente de la résurrection… Il nous faudra bien nous laisser dépouiller de tout. Le Seigneur parle de Lui-même comme d’un voleur dans plusieurs paraboles : le voleur qui vient la nuit. Et dans les derniers échanges avec Thérèse, quand elle est à l’infirmerie, on lui demande si elle a peur du voleur, parce qu’elle parle elle-même du voleur et elle dit :
Oh non, je n’ai pas peur du voleur, parce que je l’aime.
Marcher vers la sainteté, c’est apprendre progressivement, j’allais dire au rythme de Dieu, à nous laisser dépouiller pour découvrir de plus en plus ce qui fait l’essentiel de la vie. Et l’essentiel de la vie, c’est d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain comme Jésus nous a aimés, comme Jésus aime le Père. Et l’Esprit-Saint nous est donné pour que nous puissions vivre cet amour. C’est cela qui doit avant tout nous préoccuper, avant tout ; le reste vient en second et prend son sens par rapport à cet amour pour Dieu et cet amour pour nos frères, lequel atteste de la vérité de notre amour pour Dieu.
C’est pour cela que Thérèse s’écriera dans son offrande à l’amour miséricordieux :
Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m’avez préparé dans votre royaume, en un mot, je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu, d’être vous-même ma Sainteté.
(Pri 06 – Offrande à l’Amour Miséricordieux, 9 juin 1895)
C’est un chemin, cela : un chemin qui prend du temps, qui prend toute notre vie. Vers la fin du manuscrit A — et elle écrit cela à l’automne 1895 sans doute, quand elle a 23 ans passés bientôt 24 — Thérèse dit :Au commencement de ma vie spirituelle, vers l’âge de 13 à 14 ans, je me demandais ce que plus tard j’aurais à gagner, car je croyais qu’il m’était impossible de mieux comprendre la perfection ; j’ai reconnu bien vite que plus on avance dans ce chemin, plus on se croit éloigné du terme, aussi maintenant je me résigne à me voir toujours imparfaite et j’y trouve ma joie… (Ms A 74r°)
Frères et sœurs, comment vivre ce chemin (et je termine par là) ? Nous l’avons entendu dans le livre de l’Apocalypse. D’abord, nous avons entendu dans la première lettre de saint Jean la réalité de notre être : nous sommes enfants de Dieu. Mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Donc nous ne voyons pas que nous sommes enfants de Dieu : nous le croyons. Mais ce n’est pas parce que nous ne le voyons pas et que nous le croyons que cela n’est pas réel. Et ces enfants de Dieu, qu’est-ce qu’ils sont ? Relisons l’Apocalypse :
Qui sont ces gens vêtus de robes blanches qu’ils ont lavées dans le sang de l’Agneau, si ce n’est d’une part les martyrs et d’autre part les baptisés qui ont été plongés par le baptême dans la mort du Seigneur pour déjà participer à sa résurrection — et le baptisé reçoit le vêtement blanc : « vous avez revêtu le Christ. » (Ga 3,27).
Et que nous dit-on de ces gens ? Qu’ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau. Est-ce que je me tiens debout dans ma vie ? Debout, parce que participant à la résurrection du Christ, intérieurement debout, sans crainte, parce que le Seigneur est mon appui.
Et est-ce que je me tiens devant le Trône et devant l’Agneau ou est-ce que je tourne le dos au Trône et à l’Agneau ? Comment est-ce que je cherche à vivre toute ma journée sous le regard bienveillant de Dieu, sous le regard plein d’amour de Jésus ? Comment ma vie devient-elle un dialogue incessant avec le Seigneur Jésus ? Et comment est-ce que je m’écrie d’une voix forte : « le salut appartient à notre Dieu »et non pas « le salut vient de mes efforts » ?
C’est pourquoi je vous demande, ô mon Dieu, d’être vous-même ma sainteté.
Voilà, frères et sœurs, la manière d’avancer sur ce chemin de dépouillement : c’est de nous tenir devant Dieu dans la certitude que, depuis notre baptême, la vie du Ressuscité habite en nous et qu’il nous faut nous tenir debout en glorifiant Dieu qui est en train d’agir dans nos vies pour notre salut, souvent à notre insu. C’est pour cela qu’avec Thérèse, en reprenant ses mots, en quittant cette église tout à l’heure, nous pouvons repartir en nous écriant joyeusement :
« Je puis donc, malgré ma petitesse, aspirer à la sainteté ».
Amen.
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