Dimanche 12 octobre 2025
28ème dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : 2 Rois 5,14-17
Psaume : 97 (98), 1, 2-3ab,3cd-4
2ème lecture : 2 Timothée 2,8-13
Évangile : Luc 17,11-19

Quand le prophète Élisée dit au général syrien Naaman : « va te baigner sept fois dans le Jourdain », que Naaman finit par faire ce que lui a dit Élisée, qu’il se trempe sept fois dans le Jourdain et que sa chair redevient nette, on comprend qu’il y a un lien entre ce qu’a dit Élisée et la guérison de Naaman. Et on comprend que Naaman revienne voir Élisée pour l’en remercier. 

Avec les dix lépreux dans l’Évangile de Luc, la chose est moins simple. Ils crient vers Jésus : « Jésus, maître, prend pitié de nous ».Et Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres » comme cela est indiqué dans la loi de Moïse pour que le prêtre puisse constater l’état et porter un diagnostic. Ils y vont. Eux aussi font ce que dit Jésus, comme Naaman a fait ce que dit Élisée. En chemin, ils sont purifiés — au passage, nous ne savons pas ce qu’est ce chemin. Où vont-ils trouver un prêtre ? Est-ce que c’est tout à côté, est-ce que c’est plus loin ? Nous ne savons pas. Est-ce que c’est dans les cinq minutes qui suivent la parole de Jésus, est-ce que c’est le lendemain ? Nous ne savons pas. Et sur les dix, Il y en a un qui revient, apparemment sans être allé jusqu’au prêtre, alors que c’est ce qu’avait demandé Jésus ; on ne nous dit pas qu’après avoir vu le prêtre, l’un revient… non, c’est en chemin. Lui comprend que ce qu’ils vivent dans cette guérison a sa source en Jésus. 

C’est ainsi que l’Écriture nous apprend à déchiffrer l’action de Dieu et l’action de Jésus. L’Écriture nous apprend à faire ce lien, à nous dire : « Tu vois, là, dans ce qui s’est passé, c’est bien Jésus qui est à l’origine ». Et c’est en fréquentant l’Écriture Sainte, et en particulier en fréquentant l’Évangile, que nous pouvons apprendre, comme sainte Thérèse, à repérer l’action de Jésus, l’action du “bon Dieu” comme l’appelle Thérèse, dans nos vies. Car le Seigneur agit, et le Seigneur agit beaucoup plus que nous n’y faisons attention, que nous n’y prêtons attention. Et il y a cet étonnement de Jésus : « Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ? ». 

Sainte Thérèse voit bien aussi qu’autour d’elle, peu viennent rendre grâce au Seigneur. Elle écrit, au début du manuscrit B :

Jésus […] n’a point besoin de nos œuvres, mais seulement de notre amour. […] En disant [à la Samaritaine] : « donne-moi à boire », c’était l’amour de sa pauvre créature que le Créateur de l’univers réclamait. Il avait soif d’amour… Ah ! je le sens plus que jamais Jésus est altéré, il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas ! peu de cœurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini. (Manuscrit B 1v)

Et Thérèse s’écrira dans une lettre au Père Roulland :

Oh ! que ma reconnaissance est grande lorsque je considère les délicatesses de Jésus !… (LT 201 du 1er novembre 1896, au P. Roulland)

Oui, frères et sœurs, comment déchiffrons-nous dans nos vies les délicatesses de Jésus ? Comment déchiffrons-nous dans nos vies toute la bonté du Seigneur et comment lui rendons-nous grâce ? Comment revenons-nous vers lui pour lui rendre grâce ? Comment, dans la prière, nous commençons par rendre grâce pour ce que le Seigneur fait pour nous ? Et savons-nous nommer ce que le Seigneur a fait pour nous concrètement ? Comment nous y entraînons-nous ? Comment est-ce que — je ne sais pas si on peut le faire en famille —,dans nos groupes paroissiaux, nos groupes chrétiens, comment cherchons-nous à nous raconter les uns aux autres, tout en restant très pudiques, ce que le Seigneur a fait pour nous ? Je me souviens en paroisse, dans les rencontres du catéchuménat le dimanche matin, nous commencions par un tour de table avec les catéchumènes, les accompagnateurs et moi-même, par ce temps d’échange : qu’est-ce que le Seigneur a fait pour nous depuis notre dernière rencontre ?

Et j’ai bien perçu comment nous nous enrichissions les uns les autres. Plusieurs fois je me suis dit : tiens, telle personne voit dans cet événement de sa vie l’action de Dieu. Aurais-je pensé à voir l’action de Dieu dans un événement semblable ? Nous pouvons nous “entre-éduquer” à voir l’action de Dieu dans nos vies.

Et comment venons-nous exprimer cette action de grâce, cette gratitude envers le Seigneur dans la célébration de l’Eucharistie qui est l’action de grâce par excellence, l’action de grâce que Jésus prononce à son Père, l’action de grâce dans laquelle il nous est fait la grâce d’entrer nous-mêmes : nous venons comme insérer nos mercis dans l’immense merci de Jésus. Comment venons-nous le dimanche à la messe, porteurs d’actions de grâce concrètes de notre vie, pour les insérer dans la grande action de grâce du Christ ? 

Oui, comme le dit Paul, son Évangile, c’est-à-dire sa proclamation, est centré sur Jésus. « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts ».

Souviens-toi de Jésus-Christ qui a livré sa vie pour toi. 

Souviens-toi de Jésus-Christ qui est venu jusqu’à toi, te saisissant dans sa propre vie par le baptême.

Souviens-toi de Jésus-Christ qui t’a donné la plénitude de l’Esprit-Saint, en particulier par le sacrement de la confirmation.

Souviens-toi de Jésus-Christ qui veut venir faire en toi sa demeure dans le mystère de l’Eucharistie pour te faire vivre de sa vie. 

Souviens-toi de Jésus qui nous a promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps. 

Souviens-toi de Jésus, qui t’est fidèle, quand bien même tu manquerais de foi. C’est ce que nous dit l’apôtre. 

Bien sûr, nous pouvons nous fermer à Jésus, mais si, nous étant fermés au Seigneur, nous nous retournons vers lui, aussi pauvres que nous soyons, aussi loin que nous soyons allés, dès que nous nous retournons et que nous lui disons « Seigneur, prend pitié de moi », aussitôt sa miséricorde nous enveloppe, aussitôt notre cœur est changé, si nous le voulons bien… aussitôt nous pouvons rentrer en sa grâce et nous entendrons le Seigneur nous dire alors : Va te montrer au prêtre dans le sacrement de pénitence et de réconciliation pour qu’il achève ce retour, pour qu’il achève cette entrée de la miséricorde dans ta vie, pour qu’il te restaure dans ce sacrement par ma grâce. 

Mais nous ne pouvons pas entendre cet Évangile sans nous arrêter un instant sur la question de Jésus : « Les neuf autres, où sont-ils ? Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? » Les neuf autres, où sont-ils ?

La question de la mission, frères et sœurs, elle nous est posée par Jésus. 

La question de l’annonce de la Bonne Nouvelle du Salut, c’est le Seigneur qui nous la pose : Les neuf autres, où sont-ils ?

Nous pouvons laisser notre imagination courir et peut-être imaginer que le Samaritain qui est venu se prosterner aux pieds de Jésus, rendant grâce, glorifiant Dieu à pleine voix, que ce Samaritain est allé trouver les neuf autres pour leur dire : « Mais, vous savez ce que j’ai découvert ? C’est que ce qui nous est arrivé, la source, c’est Jésus. » Et peut-être que plus tard, les neuf autres, en ordre dispersé, sont venus trouver Jésus pour lui rendre grâce eux aussi…

Parce que quelqu’un leur aura montré, leur aura permis de faire le lien entre ce qui leur est arrivé et Jésus. 

La mission de proclamer l’Évangile, c’est le souci que le Seigneur met en nos cœurs de faire connaître sa bonté, de faire connaître la puissance de sa miséricorde, de faire connaître son amour qui ne cesse de poursuivre tout homme. Et si nous avons compris cela, nous comprenons aussi que nous sommes les serviteurs de cet amour et que le Seigneur veut révéler son amour à nos frères, révéler sa miséricorde, non pas d’abord par notre discours, mais d’abord par notre manière d’aimer. C’est notre amour concret pour le prochain qui pourra vraiment toucher les cœurs. Ce n’est qu’à la fin de sa vie, la dernière année, en 1897, que Thérèse va s’écrier :

Cette année, ma mère, le bon Dieu m’a fait la grâce de comprendre ce qu’est la charité. (Ms C 11v°)

Et Thérèse continue, elle poursuit en méditant sur le fait que les deux grands commandements sont vraiment semblables : aimer Dieu et aimer son prochain. Et ensuite, elle les relie par le commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Elle s’arrête en disant : mais comment est-ce qu’il a aimé ? Et elle regarde Jésus, le Verbe de Dieu qui s’est fait homme, et qui se retrouve avec ses apôtres qui ne comprennent pas grand-chose de ce qu’il fait, elle regarde Jésus aimer ses apôtres et elle se dit : mais il faut que je fasse pareil.

Et c’est cet amour-là qui est évangélisateur. C’est cet amour-là qui peut toucher les neuf autres. C’est cet amour-là que le Seigneur nous demande de répandre. 

Et pour que cet amour grandisse en nous, Il nous faut faire grandir notre gratitude envers Dieu. Plus nous aurons le cœur joyeux de ce que Dieu fait pour nous, plus notre cœur s’ouvrira à la charité et plus nous pourrons manifester au monde l’amour miséricordieux de Dieu.

Amen.