Dimanche 24 août 2025
21e dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Loys de Saint-Chamas
Lectures du jour :
1e lecture : Isaïe 66,18-21
Psaume : 116 (117),1, 2
2e lecture : Hébreux 12,5-7.11-13
Évangile : Luc 13,22-30
Nous allons commencer, en écoutant cette parole de Dieu que nous venons d’entendre, par nous étonner et lever une petite objection. « De toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères, sur des chevaux et des chariots, en litière, à dos de mulets et de dromadaires, jusqu’à ma montagne sainte, à Jérusalem ».
Je suis désolé : plus personne ne voyage en litière et peu de gens voyagent à dos de mulets et de dromadaires ! Donc si ça doit se passer comme ça, ça ne va pas faire beaucoup de monde…
Évidemment, nous comprenons qu’il ne faut pas entendre ces paroles de façon strictement littérale, comme si elles devaient s’accomplir selon ce que nous pouvons nous imaginer en entendant ces mots.
Et lorsqu’on nous dit qu’ils ramèneront tous vos frères jusqu’à ma montagne sainte à Jérusalem, est-ce à dire que nous devons aller dans ce petit pays, et que, dans cette petite ville, des hommes de toutes les nations doivent se rassembler comme sur une tête d’épingle ? Évidemment, nous comprenons que cette parole du Seigneur au prophète Isaïe, que le prophète Isaïe nous a transmise, est une parole vivante qui doit être reçue dans des cœurs vivants qui vont mesurer la force de ce que le Seigneur dit.
À l’époque du prophète Isaïe, nous sommes avec un petit peuple hébreu, juif et qui souffre parmi les nations. Il y a un combat entre des peuples, avec des princes qui veulent augmenter leur pouvoir, leur hégémonie, organiser le monde, et le petit peuple d’Israël n’est pas à la hauteur pour lutter. Et nous entendons le prophète qui dit : Je viens rassembler de toutes les nations des gens qui viendront à ma montagne sainte qui viendront, qui chercheront à venir. C’est donc l’annonce de quelque chose qui est hors de toute évidence au moment où le prophète l’annonce.
Aujourd’hui, où nous pouvons en quelques heures nous retrouver de l’autre côté du monde, il est plus facile pour nous d’imaginer les nations les plus éloignées, les îles lointaines qui n’ont rien entendu de ma renommée. Pour avoir passé 10 ans au Japon, je peux vous dire que la situation est encore celle-là : très peu de Japonais ont entendu parler du Seigneur Dieu d’Israël, et encore moins de Jésus, et encore moins le considèrent comme le Fils de Dieu envoyé par le Père pour nous. Alors la prophétie d’Isaïe demeure une prophétie en suspens : nous attendons sa réalisation.
Et dans ce sens, l’Évangile lorsqu’on pose la question à Jésus : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? », l’Évangile est à l’intérieur du peuple, ceux qui entourent Jésus — y compris parmi ceux qui sont là autour, donc dans ce petit peuple hébreu — se demandent si ça sera seulement certains qui seront sauvés… Impossible de comprendre sans changer de logique…
Si nous pensons confrontation de royaumes et d’empires, si nous pensons largeur d’une porte dans laquelle il faut arriver à rentrer et quantité et débit pour y entrer : impossible. Le Seigneur aurait-il créé le Monde pour que peu vivent de sa vie ? À la fin de sa vie, sainte Thérèse écrit : « Je ne puis craindre un Dieu qui pour moi s’est fait si petit » (Lettre 266).
Qu’est-ce qu’elle regarde ? Non pas la largeur de la porte, mais le mouvement du Fils de Dieu, envoyé par le Père : il est descendu. Aujourd’hui, nous nous posons la question de l’évangélisation et de permettre si possible à un grand nombre de venir. Comment Jésus a-t-il résolu cette question ? Il est descendu. Avouez que ce n’est pas tout à fait la chose à laquelle nous pensons… Il est descendu. Il s’est fait muet, petit enfant vagissant, il a grandi en taille, en sagesse, en grâce, devant Dieu et devant les hommes. Il a parlé à des hommes qui le suivaient et qui ne comprenaient pas vraiment ce qu’il disait, mais qui se sont mis en route à sa suite. Jusqu’au moment où il s’est abaissé, non seulement à être un homme, mais si bas, qu’il s’est laissé mettre à mort de façon inique, contraire à la justice qui venait d’être proclamée : « Je ne trouve rien qui entraîne la condamnation chez cet homme » (Lc 23,4)… Et on l’envoie sur la croix ! « Il s’est abaissé »… « ceux qui lèveront les yeux vers lui seront sauvés ». C’est ce que Thérèse a compris : elle a contemplé ce que Jésus faisait dans ce point le plus bas qui est la croix, elle a accueilli le sang qui en descendait.
Dans la lettre aux Hébreux, l’apôtre nous rappelle que nous avons besoin de progresser. La parole nous est adressée comme à des fils qui sont en train de grandir : « Ce que vous endurez, dit l’apôtre, est une leçon — ici le mot endurez signifie “ce que vous subissez”, non pas ce que vous faites, non pas ce que vous apprenez, mais ce que vous subissez.
Jetons les yeux un instant sur Thérèse de l’Enfant-Jésus. Lorsqu’elle perd sa maman, elle subit quelque chose. Et elle dira plus tard : « Le bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre. » (LT 261) Il m’a donné une deuxième maman, et m’a fait la grâce de pouvoir la choisir.
Grâce à sa première maman — sa maman—, Thérèse a su à quel point un cœur de mère peut vouloir la vie de son enfant. Avec sa deuxième maman, elle a compris comment on peut choisir d’être éduqué par sa maman. Lorsque son papa devient si malade qu’on est obligé de l’enfermer chez les fous, elle dit : Ah ! ce jour-là je n’ai pas dit pouvoir souffrir encore davantage !!!… (MsA 73 r°). Mais elle entend aussi ce que le Seigneur est en train de faire : ce qu’elle subit est une leçon. Elle regarde son papa et voit sur son visage, le visage de Jésus défiguré.
Elle comprend que son papa vit avec Jésus.
La question se posait : n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ?Jésus répond : entrez en mouvement pour passer par la porte. Et lorsqu’il nous parle de ceux qui n’entrent pas, ce sont ceux qui se sont occupés d’autre chose et n’ont pas cherché à entrer, n’ont pas été fascinés par le désir d’être unis à celui qui donne la Vie : ils ont cherché la vie ailleurs, ils ont cherché la vie entre leurs propres mains, ils ont voulu construire quelque chose qui donne la vie, ils ont voulu accumuler dans leur grenier de quoi se reposer après s’être épuisés… ils n’ont pas regardé par la porte, celui qui était descendu. Mais la bonne nouvelle que nous entendons aujourd’hui, c’est que ce n’est pas parce qu’on appartient à un peuple ou à un autre, qu’on peut regarder par la porte et s’avancer pour y passer. C’est simplement parce qu’on a entendu ce que sainte Thérèse d’Avila appellerait “le coup de sifflet du Bon Pasteur” (Livre des Demeures, IVe Dem., ch. 3, pp. 881-882.) : « Mes brebis écoutent ma voix » (Jn 10,27), et le prophète nous dit : des brebis du Seigneur il y en a dans toutes les nations et elles vont s’avancer vers lui, au moment où le Seigneur les appelle, au rythme où elles répondent.
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus complétera en disant : une âme embrassée d’amour ne peut aller seule, elle attire à elle tous ceux qui lui sont liés (Cf. MsC 36 r°).
Voilà comment le Seigneur pense l’évangélisation : que ceux qui entendent le coup de sifflet du Bon Pasteur s’avancent, qu’ils reçoivent ce qu’ils endurent comme un pas supplémentaire sur le chemin qui les rapproche de celui qui est descendu. Et ce faisant, ils deviennent attirants, non pas par l’extérieur, non pas par la persuasion, non pas par la conviction, non pas par l’organisation, mais par cette attirance du cœur, par ce feu qui rayonne, réchauffe et qui permet à chacun de suivre, non pas l’apôtre qu’ils regardent, mais celui qui envoie cet apôtre : le Père qui envoie son Fils, qui envoie ses apôtres.
Alors, frères et sœurs, aujourd’hui, réjouissons-nous : De toutes les nations, le Seigneur appelle et par conséquent il nous appelle.
Entendons-nous sa voix pour nous laisser éduquer, attirer par ce que nous endurons, de manière à ce que notre désir soit de passer par la porte avec l’assurance que nous n’y entrerons pas seuls, mais que beaucoup nous suivront. Amen
Père Loys de Saint Chamas, chapelain