Dimanche 20 juillet 2025
16ème dimanche pendant l’année – Année C
Homélie du Père Rémy Houette
Chers frères et sœurs,
Nous voici rassemblés dans cette belle basilique sainte Thérèse de Lisieux. Thérèse nous y invite à écouter Jésus. Nous venons d’entendre l’évangile de saint Luc, qui nous raconte cet épisode où Jésus est reçu chez Marthe et Marie. Il y a cette demande de Marthe « Dis-lui donc de m’aider » et la réponse de Jésus qui refuse de demander à Marie d’aider Marthe et qui, au contraire, légitime qu’elle reste à l’écouter.
Parfois, dans ma famille par exemple, et c’est peut-être vrai aussi pour vous, j’ai entendu des personnes qui étaient mères de famille et qui avaient une réaction négative par rapport à la réponse de Jésus. Elles donnaient tort à Jésus, trouvant que Jésus vraiment exagérait parce qu’il semblait ne pas donner d’importance à ce que faisait Marthe. Bref, elles se projetaient sur Marthe, comme si Jésus vraiment n’avait rien compris au travail d’une mère de famille, devant préparer le repas etc. Mais pour comprendre l’évangile, il nous faut comprendre le point de vue de Jésus, et y entrer.
Dans les lectures de ce dimanche, nous avons deux rencontres, dont nous voyons qu’elles sont tout à fait à part, et même extraordinaires. Dans la première lecture, tirée du livre de la Genèse nous avons la rencontre que fait Abraham avec trois étrangers, mais aussi avec le Seigneur, qui lui apparaît au chêne de Mambré. Et au cours de la rencontre, les trois étrangers annoncent à Abraham que Sarah qui est stérile, qui n’a pas eu d’enfant, et qui est déjà avancée en âge, aura un enfant dans l’année. C’est tellement extraordinaire qu’elle-même aura du mal à le croire en l’entendant à travers la toile de la tente.
Ce qui est mystérieux c’est que le texte passe sans cesse de trois à un interlocuteur d’Abraham, de trois hommes, au Seigneur, au singulier. C’est donc à travers ces trois messagers, le Seigneur Lui-même, qui s’adresse à Abraham, et qui, tout d’abord, est reçu par Lui comme un hôte.
Quand nous recevons quelqu’un, c’est une tradition de voir dans la personne que nous recevons le Christ. Par exemple, cela est vrai dans la règle de saint Benoît. Ici c’est bien Dieu Lui-même qui vient chez Abraham pour être reçu par lui, manger avec lui, lui annoncer enfin cette bonne nouvelle de la naissance d’Isaac, l’enfant de la promesse. Recevoir Dieu chez soi, à travers ses messagers, des personnes étrangères, des hôtes, des personnes pauvres, ou aussi des prêtres, ou des missionnaires venus en son nom, c’est aussi accueillir une bénédiction de Dieu à travers ces personnes. C’est s’ouvrir à la fécondité que Dieu donne.
Pour revenir à l’évangile, pour comprendre le point de vue de Jésus, il faudrait se demander ce que Jésus désire en allant ainsi chez Marthe et Marie pour y être reçu. Marthe et Marie apparaissent plusieurs fois dans les évangiles, avec leur frère Lazare, et ils sont dit « amis du Seigneur ». Il semble qu’ils soient tous trois célibataires, car on n’entend pas parler pour eux de conjoints. De toute évidence Marthe est la plus âgée car c’est elle qui apparaît comme la maîtresse de maison. Ce rôle de maîtresse de maison est si présent pour elle qu’il apparaît dans chacun des passages où il est question d’elle. Donc osons-le dire, Marthe est certainement une bonne maîtresse de maison. Elle est sûrement très honorée de recevoir Jésus dont elle sait déjà qu’il est un rabbi, un prophète, et dont probablement déjà elle croit qu’il est le Messie, l’envoyé de Dieu. Marthe et sa sœur Marie et leur frère Lazare ont une grande foi en Jésus. Marthe donc est très honorée et veut faire bien les choses.
Mais voilà, pour Jésus, qu’est-ce qui est le plus important en allant chez Marthe et Marie, est-ce d’être nourri et reçu de façon digne et même soignée ? Ou alors, n’est-ce pas plutôt de pouvoir réaliser l’œuvre de son Père, inviter tous les hommes à croire en Lui et par Lui à connaître le Père. « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en Celui qu’Il a envoyé. » Finalement, Jésus est-il venu sur terre pour être nourri par nous ? Ou plutôt pour nous nourrir ? « Je suis le pain vivant descendu du ciel. Qui mange de ce pain vivra pour toujours. » Aussi en parlant aux convives, au premier rang desquels se trouve la sœur de Marthe, Marie, Jésus fait l’œuvre du Père et il invite tous ceux qui sont là et parmi eux,
Marthe, la maîtresse de maison, à croire en l’œuvre du Père qui se réalise par Lui, à s’ouvrir au Règne de Dieu qui est en train d’advenir par sa venue.
La question de Marthe pourrait laisser entendre que Marie ne fait rien. « Cela ne te fait rien que ma sœur me laisse seule pour faire le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Mais Marie ne fait pas rien, elle est en train d’écouter la Parole de Jésus. A quoi sert d’inviter Jésus chez soi, finalement, Marthe, si ce n’est pour écouter sa parole ? Marie comprend qu’il est bon qu’au moins une des deux sœurs ne fasse rien d’autre qu’écouter la Parole de Jésus car c’est cela le plus important. Et elle se dit que sa sœur va s’adapter, faire le service tout en écoutant autant que possible la parole de Jésus.
C’est bien le sens de la réponse de Jésus : donner la priorité à l’écoute de sa parole. Le reste vient en plus. Au fond, il n’est sans doute pas nécessaire même pour honorer Jésus de mettre les petits plats dans les grands. Ce qui compte avant tout c’est d’ouvrir son cœur et son intelligence à sa parole et d’y répondre par une adhésion de foi. Jésus ne fait aucun reproche à Marthe de faire le service. Il est bon qu’elle le fasse, mais il est plus important encore d’écouter sa parole. L’agitation de Marthe, voilà le reproche que fait Jésus à Marthe. Elle se donne du souci et s’agite, et elle risque par-là de passer à côté de l’unique nécessaire : accueillir Dieu quand il passe quand il vient. Elle en fait trop et semble comme prisonnière de sa tâche… Alors qu’elle pourrait vaquer à ses tâches tout en écoutant la parole de Jésus. Marie, sent bien, elle, qu’accueillir Jésus, c’est d’abord l’écouter et se laisser nourrir par Lui.
Tâchons d’appliquer cela à nos vies… Il nous faut commencer par écouter le Seigneur dans sa Parole jusqu’à le recevoir dans l’Eucharistie… L’écoute de la Parole de Dieu invite à le recevoir plus intimement encore dans la communion eucharistique. Pour pouvoir ensuite l’apporter aux autres. Comme l’écrivait Saint Bernard : « il faut se faire vasque avant de se faire canal ». Il serait bon pour nous de vivre nos activités, notre vie quotidienne comme un prolongement de l’écoute de sa Parole, en ayant, grâce à elle, le cœur tourné vers le Seigneur. C’est dans ce sens que la vie au monastère, comme au Carmel, est tout entière tournée vers Dieu, vers l’écoute de sa Parole, avec les offices, les temps d’oraison, la lecture, les travaux et même, chez les carmélites, les récréations, tout est fait pour, d’une manière humaine, dans le temps, en tenant compte de nos rythmes, de nos besoins, écouter Dieu, sa Parole, écouter le Seigneur Jésus et vivre de Lui. Alors, de cette écoute vient que nous pouvons vivre nos activités comme une mise en pratique de sa parole. Mais il importe avant tout et d’abord d’écouter car c’est Dieu qui doit agir en nous… et non pas nous qui devons agir pour Dieu.
Écoutons ce qu’en dit Thérèse dans son troisième manuscrit qui raconte ses années au carmel. Ce ne sont point les travaux de Marthe que Jésus blâme, ces travaux, sa divine Mère s’y est humblement soumise toute sa vie puisqu’il lui fallait préparer les repas de la Ste Famille. C’est l’inquiétude seule de son ardente hôtesse qu’il voulait corriger. Tous les saints l’ont compris et plus particulièrement peut-être ceux qui remplirent l’univers de l’illumination de la doctrine évangélique. N’est-ce point dans l’oraison que les Sts Paul, Augustin, Jean de la Croix, Thomas d’Aquin, François, Dominique et tant d’autres illustres Amis de Dieu ont puisé cette science Divine qui ravit les plus grands génies ? Un savant a dit : «Donnez-moi un levier, un point d’appui, et je soulèverai le monde.» Ce qu’Archimède n’a pu obtenir, parce que sa demande ne s’adressait point à Dieu et qu’elle n’était faite qu’au point de vue matériel, les Saints l’ont obtenu dans toute sa plénitude. Le Tout-Puissant leur a donné pour point d’appui : lui-même et lui seul ; pour levier : L’oraison, qui embrase d’un feu d’amour, et c’est ainsi qu’ils ont soulevé le monde ; c’est ainsi que les Saints encore militants le soulèvent et que, jusqu’à la fin du monde, les Saints à venir le soulèveront aussi. Ms C36r°
Chercher et trouver Dieu dans les choses ordinaires de la vie, ne sera possible que si je me suis d’abord laissé trouver par Lui. Si je l’ai laissé venir à ma rencontre, si je me suis exposé à Lui, dans sa Parole qui vient me nourrir pour la vie éternelle. « Tu as les paroles de la vie éternelle. » Thérèse au Carmel, vivait tous les jours les offices et ses deux heures d’oraison, elle lisait aussi de façon méditative la Parole de Dieu. Elle avait accepté de vivre l’oraison dans la sècheresse, sans rien sentir. Elle avait accepté que, « comme à l’habitude Jésus dorme dans sa petite nacelle ». Mais ensuite, ayant écouté le Seigneur dans le silence de son cœur, c’est lui qui la guidait pour vivre la charité fraternelle avec ses sœurs, dans ses occupations diverses, dans toutes les petites choses de la vie quotidienne, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Amen
Père Rémy Houette, Chapelain du Sanctuaire