Jeudi 29 mai 2025
Ascension du Seigneur– Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Actes 1,1-11
Psaume : 46 (47),2-3 6-7,8-9
2ème lecture : Hébreux 9,24-28 ;10,19-23
Évangile : Luc 24,46-53
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La fête de l’Ascension nous fait tourner les yeux résolument vers le Ciel, vers la patrie. C’est un mot qui revient souvent sous la plume de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : la Patrie ou le Ciel. Et j’ai été heureux d’entendre dans la bouche du pape Léon XIV, au soir même de son élection, ce mot de patrie. Il disait :
« Je suis un fils de saint Augustin, augustinien, qui a dit : “Avec vous, je suis chrétien, et pour vous, je suis évêque”. En ce sens, nous pouvons tous marcher ensemble vers la patrie que Dieu nous a préparée ».
C’est elle qui donne le sens à toute notre existence. Nous ne sommes pas des “promeneurs” dans la vie, nous sommes des “alpinistes de haute montagne” qui marchent vers le sommet. Nous savons vers où nous allons. Nous savons quelle est notre vocation. Nous savons quelle est notre but.
La plénitude de la vie humaine, l’épanouissement de la vie humaine, c’est la sainteté, c’est de partager la vie de Dieu, c’est d’être totalement enfant de Dieu, c’est d’être avec le Fils éternel du Père éternel au cœur même de la Sainte Trinité, c’est d’entrer dans la plénitude de la vie, de l’amour, de la joie… nous sommes faits pour cela ! Et si nous perdons de vue le Ciel, notre vie n’a plus de sens.
Le lendemain de son élection, Léon XIV, lui encore, disait ceci :
Aujourd’hui encore, il existe de nombreux contextes dans lesquels la foi chrétienne est considérée comme une chose absurde, pour des personnes faibles et inintelligentes ; des contextes dans lesquels d’autres valeurs lui sont préférées, telles que la technologie, l’argent, le succès, le pouvoir, le plaisir.
Ce sont des milieux où il n’est pas facile de témoigner et d’annoncer l’Évangile, et où ceux qui croient sont moqués, combattus, méprisés, ou au mieux supportés et plaints. Et pourtant, précisément à cause de cela, ce sont des lieux où la mission est urgemment nécessaire, parce que le manque de foi entraîne souvent des drames tels que la perte du sens de la vie, l’oubli de la miséricorde, la violation de la dignité de la personne dans ses formes les plus dramatiques, la crise de la famille, et tant d’autres blessures dont notre société souffre, et pas seulement.
Quand il n’y a plus de Ciel, quand il n’y a plus de Sauveur ni de salut, quand l’horizon, c’est le cimetière, alors, quand cela devient trop dur, il faut faire mourir, et il est important que la loi le proclame. Voilà où nous en sommes… (Vous pourrez aller chercher dans l’Évangile de saint Jean qui Jésus nomme le “menteur”, le “père du mensonge”, “homicide dès le commencement”.) Et le Pape nous invite ainsi, dans la suite de tous ses prédécesseurs, à continuer de vivre et d’annoncer l’Évangile.
Les lectures de ce jour nous y engagent fortement, en particulier la parole du Seigneur dans les Actes des Apôtres : « Vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ».
J’ouvre une parenthèse : s’il y avait parmi vous des baptisés qui ne sont pas confirmés, qui n’ont pas reçu le sacrement de la confirmation, vous allez voir votre curé très vite et vous lui dites : « Monsieur le curé, je suis dans le même état qu’un pain qui n’est pas cuit. Est-ce que je peux être cuit au feu de l’Esprit Saint en recevant le sacrement de la confirmation s’il vous plaît ? » Le baptême appelle le sacrement de la confirmation et j’engage vraiment tous ceux qui n’auraient pas reçu ce beau sacrement, qui donne la plénitude du don de l’Esprit-Saint, à le recevoir sans tarder.
Nous sommes donc appelés — et nous l’entendions il y a quelques dimanches — par le Christ. Nous sommes institués par le Christ pour porter du fruit et que ce fruit demeure. Le témoignage que nous avons à rendre au Seigneur n’est pas d’abord une parole, c’est d’abord une vie : une vie transformée par le Seigneur. Si nous avons, d’une manière ou d’une autre, fait l’expérience de la présence vivante du Christ Jésus dans nos vies, si nous avons fait l’expérience de sa miséricorde, si nous avons fait l’expérience d’une manière ou d’une autre d’un salut, nous ne pouvons pas le garder pour nous. Le Pape François le disait très clairement dans son Encyclique sur la joie de l’évangile :
Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ ; nous ne disons plus que nous sommes « disciples » et « missionnaires », mais toujours que nous sommes « disciples-missionnaires ». Si nous n’en sommes pas convaincus, regardons les premiers disciples, qui immédiatement, après avoir reconnu le regard de Jésus, allèrent proclamer pleins de joie : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1,41). (Evangelii Gaudium n°120) Ce qui nous est demandé, ce n’est pas de faire des discours, c’est de vivre l’Évangile ; ce qui nous est demandé, c’est d’être vraiment des disciples de Jésus : alors l’Évangile deviendra visible dans nos vies. Ce n’est pas parce que je vais d’abord parler de Jésus, c’est d’abord parce que des gens vont remarquer : tiens telle personne ne dit jamais du mal de son voisin ; tiens telle personne, comment se fait-il qu’elle s’occupe des plus petits ? Tiens, telle personne est fidèle dans le mariage jusqu’au bout, alors même que son conjoint l’a quittée. Et nous pourrions avoir une liste très longue d’exemples… Paul VI dans son exhortation sur l’annonce de l’Évangile, Evangelii Nuntiandi, au numéro 21 que je vous invite à lire jusqu’au numéro 24, décrit tout ce processus de l’évangélisation qui commence par le témoignage de la vie : pourquoi celui-là vit-il ainsi ? Pourquoi vit-il différemment ?
Dans cette fête de l’Ascension, nous avons à la fois le regard qui se tourne vers la Patrie, vers le Ciel, et en même temps le regard qui se tourne vers notre monde. Ce monde dont Jésus dit à Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16). Si nous avons fait l’expérience du Christ le Sauveur, comment ne pas désirer que ceux qui ne le connaissent pas le découvrent et fassent cette même expérience d’un salut, d’une joie qui a une saveur que rien ne peut égaler dans les joies de cette terre ? La fête de l’Ascension est un moment de l’année liturgique, mais, au fond, chaque dimanche, premier jour de la semaine, nous ramène à ce point où nous levons à nouveau nos yeux vers le Ciel vers lequel nous marchons, et nous accueillons le Seigneur qui rend présent ce Ciel. Comme l’écrit Thérèse dans cette belle poésie, « Ta face est ma seule patrie », la présence du Seigneur rend manifeste le Royaume, rend manifeste le Ciel au milieu de nous :
Ta Face est ma seule Patrie
Elle est mon Royaume d’amour
Elle est ma riante Prairie
Mon doux Soleil de chaque jour (PN 20§3)
Dans le Seigneur, le ciel est présent. Apprendre à vivre avec le Seigneur, c’est apprendre à vivre au Ciel. Et Dans une autre poésie, Thérèse parlera de l’amour comme étant le feu de la Patrie :
L’amour, ce feu de la Patrie
Ne cesse de me consumer. (PN 45§7)
Apprendre à aimer comme Jésus aime, c’est vivre déjà de la Patrie, c’est vivre déjà la grâce du Royaume, c’est comme anticiper le Ciel, c’est rendre présent le Ciel sur la terre… À condition que cet amour soit vraiment à l’imitation de celui de Jésus. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34) dit le Seigneur.
Ce jour du dimanche sur lequel le Pape Jean-Paul II a fait une magnifique lettre Dies Domini — que je vous invite à lire si vous ne l’avez jamais fait. Il parle à un moment, dans cette lettre, du dimanche comme du “jour de l’espérance” :
Si le dimanche est le jour de la foi, il n’en est pas moins le jour de l’espérance chrétienne. La participation à la « Cène du Seigneur » est en effet une anticipation du banquet eschatologique pour les « noces de l’Agneau » (Ap 19,9). En célébrant le mémorial du Christ, ressuscité et monté au ciel, la communauté chrétienne se situe dans l’attente « que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur. (n°38) La prière qui amplifie la dernière demande du Notre Père dans la messe a une visée eschatologique, c’est-à-dire qu’elle regarde la fin des temps. C’est dans la venue du Seigneur en gloire, dans ce second avènement, dans l’achèvement de toute chose que nous serons libres de tout péché, que nous serons à l’abri de toute épreuve. Et c’est dans cette espérance que nous avançons. Et à cause de cette espérance qui se fonde dans la miséricorde de Dieu, nous ne pouvons pas avoir peur du lendemain, nous ne pouvons pas nous laisser inquiéter pour demain : nous savons que le Seigneur est vainqueur. Nous le chantions dans la séquence de Pâques : la vie et la mort s’affrontent dans un duel tragique, mais c’est la vie qui l’emporte et c’est le Christ vivant qui est vainqueur ! (Mors et vita duello conflixere mirando, Dux vitae mortuus, regnat vivus.)
C’est de cela que nous sommes témoins. Si le pape François a voulu qu’en cette année sainte, nous soyons des « témoins de l’espérance » en cheminant dans cette espérance, c’est bien parce que notre monde en manque cruellement.
Puisse cette fête de l’Ascension nourrir notre courage.
Puissions-nous avancer résolument vers le Ciel notre Patrie, avancer ensemble et entraîner dans notre sillage ceux au milieu desquels nous vivons.
Thérèse se réjouit en voyant qu’il est écrit : Attire-moi, nous courrons.
Et Thérèse dit :
O Jésus, il n’est donc pas même nécessaire de dire : «En m’attirant, attirez les âmes que j’aime!» Cette simple parole «Attirez-moi» suffit […] De même qu’un torrent, se jetant avec impétuosité dans l’océan, entraîne après lui tout ce qu’il a rencontré sur son passage, de même, ô mon Jésus, l’âme qui se plonge dans l’océan sans rivage de votre amour, attire avec elle tous les trésors qu’elle possède… (MsC 34v°)
Gardons les yeux fixés sur le Ciel, non pas pour nous détourner de la terre, mais pour ne pas oublier quel est le terme du chemin, à quoi cela sert tout ce que nous faisons… Ce que nous faisons, c’est pour rendre le Royaume déjà présent en ce monde si douloureux.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire