Dimanche 11 mai 2025
4ème dimanche de Pâques – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Actes 13,14.43-52
Psaume : 99 (100),1-2,3, 5
2ème lecture : Apocalypse 7,9.14b-17
Évangile : Jean 10,27-30
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Le verset qui précède ce passage de l’évangile que nous venons d’entendre est adressé à ceux qui ne veulent pas croire en Jésus, et Jésus leur dit : Vous ne recevez pas ma parole parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix. Si nous nous posons la question : est-ce que finalement je fais partie des brebis du Seigneur ?, il me semble que nous avons là un critère : est-ce que j’écoute la voix du Seigneur Jésus ? Est-ce que j’écoute sa parole ? Pas seulement que je l’ai entendue, mais est-ce que je l’écoute au sens : est-ce que je cherche à vivre ce que dit Jésus, est-ce que je cherche comme sainte Thérèse à faire ce qui plaît à Jésus, à “faire plaisir” à Jésus ? Et il me faut prendre conscience que si de fait, en observant, je vois que je cherche à écouter vraiment le Seigneur, il me faut alors entendre comme une révélation que c’est le Père qui m’a donné à Jésus : « Mon Père qui me les a donnés — mes brebis — est plus grand que tout ».
Ce n’est pas seulement de mon propre mouvement que je suis venu à Jésus, c’est parce que le Père m’a attiré à Jésus et m’a donné à Jésus. Dieu est infiniment plus proche de nous que nous ne l’imaginons, Dieu est infiniment plus présent à nos vies que nous ne le pensons. Et sur ce chemin, Thérèse est un bon pédagogue pour nous apprendre à déchiffrer la présence du Seigneur, car en fait elle ne fait que cela : elle relit sa vie dans les manuscrits en regardant comment tout ce qu’elle a vécu est un don de Dieu, une présence du Seigneur.
Le livre de l’Apocalypse nous décrit cette « foule immense que nul ne peut dénombrer de toutes nations, tribus, peuples et langues ». Qui sont-ils ? La clef nous est donnée ; on nous dit : « Ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies dans le sang de l’Agneau ». Cela désigne d’abord sans doute le martyre, mais on peut penser que cela désigne aussi le baptême, où nous avons été plongés dans la mort avec le Christ pour ressusciter avec lui. Nous avons blanchi nos robes dans le sang de l’Agneau. Et on peut lire sur la vie baptismale ce que décrit l’un des anciens ; sur la vie baptismale, c’est-à-dire sur notre vie. Je voudrais m’y arrêter avec Thérèse.
D’abord cette robe baptismale. Lorsque Thérèse entre au Carmel à l’âge de 15 ans, 2 mois plus tard, elle va faire une confession générale au père Pichon : une confession générale « comme je n’en avais jamais faite », dit-elle. Et c’est là que le père Pichon lui dit : « En présence du Bon Dieu, de la Sainte Vierge et de tous les Saints, JE DECLARE QUE JAMAIS VOUS N’AVEZ COMMIS UN SEUL PECHE MORTEL. » Puis il ajouta : remerciez le Bon Dieu de ce qu’il fait pour vous, car s’il vous abandonnait, au lieu d’être un petit ange, vous deviendriez un petit démon.
Et Thérèse commente :
Ah ! je n’avais pas de peine à le croire, je sentais combien j’étais faible et imparfaite, mais la reconnaissance remplissait mon âme ; j’avais une si grande crainte d’avoir terni la robe de mon Baptême, qu’une telle assurance sortie de la bouche d’un directeur comme les désirait Notre Sainte Mère Thérèse, c’est-à-dire unissant la science à la vertu, me paraissait sortie de la bouche même de Jésus… (MsA 70r)
Nous avons là l’indice que Thérèse a vécu avec ce souci de garder intacte la blancheur de sa robe baptismale. Quel lien avons-nous avec notre baptême ? Comment gardons-nous présent au cœur le fait d’avoir été baptisé, ou plutôt d’être baptisé, c’est-à-dire d’avoir reçu cette grâce d’être mis avec Jésus, d’être déjà vainqueur de la mort, de savoir que sur nous, le péché n’a plus de pouvoir ? Comment en vivons-nous la grâce de manière permanente ?
Ceux qui ont ainsi blanchi leur robe dans le sang de l’Agneau, ils sont devant le trône de Dieu et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Voilà la situation de notre vie de baptisés : nous tenir devant le trône de Dieu pour le servir jour et nuit. Comment notre vie est-elle un service de Dieu à travers tout ce que nous faisons, à travers notre vie familiale, notre vie professionnelle, notre vie associative, municipale, que sais-je ? Comment est-ce vécu comme un service de Dieu ? Là encore Thérèse peut nous nous inspirer ; vers la fin du manuscrit B, elle dit : Eh bien ! moi je suis l’Enfant de l’Église, et l’Église est Reine puisqu’elle est ton épouse, ô Divin Roi des Rois… Ce ne sont pas les richesses et la Gloire, (même la Gloire du Ciel) que réclame le cœur du petit enfant… La gloire, il comprend qu’elle appartient de droit à ses Frères, les Anges et les Saints… Sa gloire à lui sera le reflet de celle qui jaillira du front de sa Mère. Ce qu’il demande c’est l’Amour… Il ne sait plus qu’une chose, t’aimer, ô Jésus… Les œuvres éclatantes lui sont interdites, il ne peut prêcher l’Évangile, verser son sang… mais qu’importe, ses frères travaillent à sa place, et lui, petit enfant, il se tient tout près du trône du Roi et de la Reine, il aime pour ses frères qui combattent… Mais comment témoignera-t-il son Amour, puisque l’Amour se prouve par les œuvres ? Eh bien, le petit enfant jettera des fleurs, il embaumera de ses parfums le trône royal, il chantera de sa voix argentine le cantique de l’Amour… (McB 4r)
C’est une des expressions de ce qu’on appelle la “petite voie” de Thérèse. Elle comprend que, vue sa nature, vu ce qu’elle aime, vue sa place au Carmel, les grandes œuvres ne sont pas pour elle. Mais elle est capable de petites œuvres faites par amour. Et c’est cela qu’elle appelle “jeter des fleurs”. Ne laissez passer aucune occasion de faire le bien par amour dans les plus petites choses. Car c’est l’amour qui porte du fruit, c’est l’amour qui est fécond. Et nous pouvons, en nous inspirant de Thérèse, vivre toutes nos journées en nous tenant devant le trône de Dieu et en ne laissant passer aucune occasion de faire un peu de bien, même si c’est tout petit, mais de le faire par amour.
« Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur ».
Comment est-ce que Jésus est mon pasteur ? C’est-à-dire comment est-ce que c’est lui qui me guide ? Comment est-ce que, s’il est mon pasteur, j’accepte de faire partie du troupeau, que je suis une brebis parmi d’autres ? Comment est-ce que je vis cette communion à l’Église ? Et nous le savons, celui qui est donné pour signifier l’unité de l’Église et pour présider à la communion et à la charité, c’est l’évêque de Rome, le Pape. Et notre communion avec l’évêque de Rome, aujourd’hui le pape Léon XIV, dit quelque chose de notre communion à l’Église. Mais cette communion à l’Église, c’est aussi la manière dont nous vivons, nos communautés chrétiennes là où nous sommes, notre vie paroissiale. Comment nous recevons-nous les uns les autres comme des frères et sœurs que Dieu nous donne ? L’Église n’est pas un club où on se choisit, c’est une famille où l’on se reçoit de Dieu. Thérèse aime contempler ce pasteur, elle en parle à plusieurs reprises. Au commencement de l’écriture du Manuscrit A (folio 3), elle a donc 22 ans, elle écrit :
Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard sur le passé ; mon âme s’est mûrie dans le creuset des épreuves extérieures et intérieures ; maintenant comme la fleur fortifiée par l’orage je relève la tête et je vois qu’en moi se réalisent les paroles du psaume XXII. (Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans des pâturages agréables et fertiles. Il me conduit doucement le long des eaux. Il conduit mon âme sans la fatiguer… Mais lors [3v] même que je descendrai dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur !…) Toujours le Seigneur a été pour moi compatissant et rempli de douceur… Lent à punir et abondant en miséricordes !… (Ps.CII,v.8.)
Comment contemplons-nous le Christ, notre pasteur ? Comment repérons-nous dans nos vies les signes de cette présence compatissante, bienveillante, consolante, fortifiante du Seigneur Jésus le bon berger ?
Enfin : « Dieu essuiera toute larmes de leurs yeux ». Dieu vient nous consoler, c’est un des noms du Seigneur : le Paraclet, le Consolateur. L’Esprit-Saint est un autre Paraclet, un autre Consolateur. Jésus est le premier Consolateur, il s’est installé dans le village de la consolation : Kafr Nahum, Capharnaüm, c’est le “village de la consolation”. Mais cette consolation est parfois paradoxale, c’est-à-dire qu’elle n’est pas toujours sensible. Thérèse écrit au début du Manuscrit B dans la lettre à sa sœur Marie :
Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh non ! ma consolation c’est de n’en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus m’instruit dans le secret, ce n’est pas par le moyen des livres, car je ne comprends pas ce que je lis, mais parfois une parole comme celle-ci que j’ai tirée à la fin de l’oraison (après être restée dans le silence et la sécheresse) vient me consoler.
Et elle cite une parole de Jésus à M-M. Alacoque :
« Voici le maître que je te donne, il t’apprendra tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le livre de vie, où est contenue la science d’AMOUR. » (MsB 1r)
La consolation que trouve Thérèse, elle la trouve essentiellement dans la parole de Dieu qui est vraiment pour elle une parole vivante. Quand elle lit les Saintes Écritures, elle écoute ce que le Seigneur dit et c’est là qu’elle trouve sa consolation, et c’est là que nous pouvons trouver notre consolation.
Une des consolations que le Seigneur donne à son Église, ce sont les consacrés et ceux qui reçoivent le sacrement de l’ordre pour rendre présent dans l’Église le Christ serviteur dans le diaconat, et le Christ bon pasteur dans le presbytérat. Le Seigneur n’appelle pas moins aujourd’hui qu’hier, il nous faut continuer de prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Mais il nous faut aussi établir les conditions dans notre Église, dans nos familles, pour que ceux qui entendent un appel du Seigneur puissent y répondre. N’oublions pas dans la parabole du semeur que parfois le bon grain est étouffé par les ronces. Réfléchissons pour améliorer les conditions d’accueil de l’appel du Seigneur, que ceux qui entendent un appel intérieur puissent y répondre joyeusement, librement.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire