Dimanche 20 avril 2025
Résurrection du Seigneur – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Actes 10,34a.37-43
Psaume : 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23
2ème lecture : Colossiens 3,1-4
Évangile : Jean 20,1-9
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Bienheureux sommes-nous que l’Évangile nous rapporte cette scène qui nous décrit ce qu’ont vu les apôtres, et qui nous décrit comment regarder… le tombeau est ouvert lorsque Marie-Madeleine ou Pierre ou le disciple que Jésus aimait se penchent vers l’intérieur du tombeau ; que voient-ils ? Ils voient que tout est en place comme la veille au soir, que rien n’a bougé, simplement le corps n’est plus dans le linceul. Mais on n’a pas enlevé le linceul pour prendre le corps nu : le corps a disparu de l’intérieur du linceul qui, du coup, s’est affaissé, ne contenant plus le corps, mais dans la même position qu’il était quand il y avait le corps. Et le suaire qui entoure la tête est à sa place, à l’intérieur du linceul. Que s’est-il passé ? Où est passé le corps ? L’Évangile utilise trois verbes différents pour la vision.
Il y a la vision qui simplement enregistre les choses, mais sans rien en faire. Toute la journée, nous voyons beaucoup de choses, mais nous n’en faisons rien.
Il y a la vision qui interpelle et qui appelle une interprétation : le plus simple, c’est le feu rouge qui vous invite à vous arrêter. Mais il y a d’autres choses que nous voyons et nous commençons à nous interroger pour comprendre ce que nous voyons.
Et puis il y a la vision qui consiste à comprendre ce qui se passe.
Paul, dans la lettre aux Éphésiens, parle des “yeux du cœur” (Ep 1,18). Saint-Exupéry dans « Le petit prince » dit : « On ne voit bien qu’avec le cœur ». Thérèse utilise une fois dans une de ses lettres, cette expression : mon cœur voit bien que… (Cf. LT 75)
Et nous avons dans cet évangile ces trois verbes.
Le disciple que Jésus aimait entre, il voit (βλέπει), mais il ne fait rien de ce qu’il voit. Il a juste jeté un œil.
Pierre lui rentre, il regarde, il contemple (θεωρεῖ). Il essaie de comprendre ce qu’il voit et il ne comprend pas. Enfin, le disciple que Jésus aimait vient à nouveau. Et là on nous dit avec un troisième verbe en grec : il vit et il crut (καὶ εἶδεν, καὶ ἐπίστευσεν). C’est cela la vision du cœur. Il comprend ce qu’il voit. Il comprend ce qu’il a sous les yeux. Ou plutôt, la rencontre de l’événement qu’il a sous les yeux et de la parole du
Seigneur permettent à la fois d’interpréter ce qu’il voit, en même temps que cela lui permet de comprendre la parole du Seigneur.
Comment regardons-nous les choses ? Comment regardons-nous le monde ? Comment regardons-nous les événements de notre vie et comment cherchons-nous à prendre l’habitude que la Parole de Dieu, et en particulier la parole de Jésus, vienne éclairer les événements que nous vivons ? Car l’Évangile nous rapporte quelques faits et gestes du Seigneur pour nous apprendre à voir comment agit le Seigneur, pour que nous puissions déchiffrer dans notre vie l’action du Seigneur. Il s’agit donc d’apprendre à lire les événements à la lumière des Écritures Saintes, à la lumière de la Parole de Dieu. Et si vous fréquentez un peu les écrits de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, vous verrez qu’elle vit cela profondément. L’Écriture Sainte est vraiment pour elle une lumière : la parole du Seigneur qui vient révéler dans sa propre vie à elle, Thérèse, ce que Dieu fait, ce que Dieu veut faire, ce que Jésus veut faire. Et elle parlera très peu de Jésus ressuscité ou de la résurrection de Jésus, mais elle dira souvent : Jésus me fait sentir que…, Jésus m’a fait sentir que…, ou bien Jésus me dit que…, Jésus nous dit que… Est-ce que Thérèse prend ses désirs pour des réalités ? Non ; elle se laisse vraiment éclairer dans la foi par la Parole de Dieu.
Frères et sœurs, il nous faut prendre du temps pour méditer les Saintes Écritures, à commencer par les Évangiles. Si vous n’avez jamais lu un Évangile en entier, eh bien, je vous invite à le faire durant le Temps Pascal. Prenez celui que vous voulez, mais lisez-le d’un bout à l’autre pour essayer de contempler Jésus, de regarder Jésus : ce qu’il fait, ce qu’il dit, en demandant dans la prière à Dieu notre Père de vous révéler son Fils : Père révèle en moi ton Fils.
L’événement de la résurrection n’est pas seulement un événement du temps, un événement qui s’est déroulé un jour quelque part sur notre terre, en l’occurrence à Jérusalem, il y a bientôt 2000 ans. C’est aussi un événement qui se joue dans chacune de nos vies. Vous avez entendu dans la deuxième lecture ce que nous dit l’apôtre : « Vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Déjà vous êtes ressuscités, alors recherchez les réalités d’en haut ». Au jour de notre baptême, nous avons reçu une grâce inouïe, c’est d’avoir été mis avec Jésus ressuscité. Nous bénéficions de la résurrection de Jésus sans avoir nous-mêmes franchi la mort physique, mais nous avons déjà vécu quelque chose du mystère de la mort, avec Jésus, dans le baptême, et déjà la vie de Jésus ressuscité coule en nos veines. La puissance par laquelle le Père a ressuscité le Christ depuis le séjour des morts et l’a fait monter aux cieux pour siéger à sa droite, cette puissance-là, nous dit Paul dans la lettre aux Éphésiens (Ep 1,20), c’est cette puissance qu’il met à l’œuvre dans nos vies de croyants. Nous sommes continuellement pris dans le mouvement ascendant qui nous fait passer de la mort à la vie. Nous sommes continuellement, par l’Esprit-Saint, entraînés de la mort à la vie, mais cela ne se fait pas sans nous.
Dans une de ses lettres à sa sœur Céline, sainte Thérèse écrit :
Jésus a pour nous un amour si incompréhensible qu’il veut que nous ayons part au salut des âmes. Il ne veut rien faire sans nous. (LT 135)
Thérèse écrit cela en pensant que le Seigneur l’appelle, ainsi que Céline, ainsi que toutes les carmélites, à travailler au salut de toutes les âmes, au salut du monde, à travers l’offrande de leur vie et leur incessante prière.
Oui, mais nous ne pouvons pas exclure de toutes ces âmes la nôtre. Et nous pouvons entendre cette parole de Thérèse pour nous-mêmes : Jésus a pour toi un amour si compréhensible qu’il veut que tu aies part au salut de ton âme. Il ne veut rien faire sans toi.
Et donc, n’attendons pas benoîtement que Dieu fasse les choses à notre place, que Jésus fasse pour nous ce que nous ne faisons pas… mais faisons avec lui. Il ne veut rien faire sans nous, parce qu’il nous appelle à ne rien faire sans lui. Sans moi, dit Jésus, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5). Jésus ne dit pas : vous ne pouvez pas faire grand-chose : il nous dit “vous ne pouvez rien faire”.
Affirmer notre foi dans la résurrection de Jésus, c’est décider de vivre avec Jésus vivant. Pour faire quoi ? Pierre nous l’a dit dans la première lecture, il a résumé la vie de Jésus, en quelques mots : « Là où il passait, il faisait le bien ».
Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Que partout où nous passions, nous fassions le bien. Ce n’est pas compliqué à retenir. Ne me dites pas que la vie chrétienne est compliquée à comprendre ! Partout où je passe, je suis appelé à faire le bien, par Jésus, avec Lui et en Lui. Non pas en comptant sur mes propres forces, sur ma propre patience, sur ma propre douceur, mais en demandant sans cesse au Christ Ressuscité qui est auprès de nous de me donner sa douceur, de me donner sa patience, de me donner sa charité, de me donner sa paix, de me donner sa joie, de me donner sa miséricorde pour que je les vive et qu’ainsi je les transmette.
Le monde ne voit pas Jésus ressuscité. Nous-mêmes, nous ne voyons pas Jésus ressuscité, mais le monde voit des chrétiens.
De même que Jésus s’écrie à l’adresse de Philippe : « Mais Philippe, qui me voit, voit le Père » (Jn 14,9), si nous vivons vraiment du Christ ressuscité, si dans notre pauvreté, nous cherchons à tout recevoir du Christ, alors peut-être que nous pourrons dire : mais mon frère, qui me voit, voit Jésus…
C’est la grâce que Dieu veut nous faire pour le monde.
Si je suis là ce matin, c’est parce que le Seigneur m’a appelé, qu’il m’établit et qu’il m’envoie en mission pour que je porte du fruit, en faisant le bien par Lui, avec Lui et en Lui.
C’est ainsi que je serai témoin de la résurrection.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire